Avec 58 réacteurs nucléaires la France n'est pas assez préparée face à un accident
Périmètres d'évacuation étriqués, sirènes d'alerte inaudibles, communications défaillantes, chaos prévisible: quatre ans après Fukushima, la France, dont le réseau de réacteurs est l'un des plus denses du monde, semble encore insuffisamment préparée à un accident nucléaire.
Les survols de sites nucléaires par des drones et les attentats de janvier ont relancé l'inquiétude d'élus locaux, qui depuis l'accident nucléaire japonais dénoncent «l'ineptie» des plans d'urgence, ces «périmètres des plans particuliers d'intervention» (PPI) prévus autour des centrales.
Alors qu'à Fukushima un périmètre de 20 km a dû être évacué, les PPI français envisagent une évacuation dans des rayons de 2 ou 5 km seulement autour des centrales. Le préfet tranche le jour de l'accident en fonction de sa gravité.
Dans un deuxième périmètre de 10 km de rayon, une mise à l'abri de la population, là où elle se trouve, est envisagée. Et les habitants doivent avoir chez eux des comprimés d'iode. Ces médicaments ne protègent pas de toutes les radiations mais, pris rapidement, ils permettent d'éviter des cancers de la thyroïde.
Dans ce contexte, le président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), Pierre-Franck Chevet, reconnaît que «les principes d’élaboration des PPI et les périmètres associés doivent être réexaminés».
Bordeaux, quatrième métropole de France, soit 720.000 personnes à 45 km des réacteurs du Blayais, a demandé en novembre une extension du PPI de la centrale à 80 km.
- Un habitant sur trois rate l'alerte -
L'association nationale des commissions locales d'informations (Anccli) réclame un périmètre de 80 km pour tous les sites nucléaires. Les «Clis» regroupent autour de chaque site nucléaire élus, syndicats, scientifiques, voire écologistes.
Au Japon, les communes concernées doivent désormais préparer une évacuation sur 30 km, un rayon plus large que prévu par les plans antérieurs à l'accident du 11 mars 2011, plans qui se sont avérés inopérants face à l'ampleur de la catastrophe. Reste que leur concrétisation s'avère complexe. En Europe, quand ils existent, les périmètres d'évacuation varient d'un à 20 km et ceux de distribution préventive d'iode de cinq à 50 km. Au Japon un village situé à cette distance de la centrale accidentée a été évacué.
En France, où tournent 58 réacteurs dans 19 centrales, les réacteurs du Bugey (Ain) se trouvent à 35 km de Lyon, ceux de Gravelines (Nord) à 25 km de Dunkerque comme de Calais.
A ce stade, l'Etat français refuse de dire s'il envisage de modifier ses PPI comme sont en train de le faire l'Allemagne et la Suisse. En attendant, les élus dénoncent les défaillances des dispositifs au sein même des périmètres actuels.
«En 12 ans, on a fait quatre exercices de crise. Le système d'alerte (sirène, haut parleur, appels téléphoniques) de la population s'est à chaque fois montré peu fiable. Lors du dernier exercice, en 2012, un Flamanvillais sur trois n'a pas reçu l'alerte ou alors avec retard», raconte Patrick Fauchon, maire PS de Flamanville (Manche), qui vient toutefois d'obtenir l'installation d'une seconde sirène pour laquelle il bataille depuis des années.
Alexis Calafat, dont la mairie est à 500 mètres de la centrale de Golfech (Tarn-et-Garonne) n'entend pas toujours la sirène non plus. Ce système est certes doublé partout d'un dispositif d'appels des téléphones fixes de la population sur 2 km, mais cette précaution est jugée insuffisante à l'ère du portable. Lors du dernier exercice autour de Gravelines en 2011, le système a permis de composer 6.000 numéros en 15 minutes mais 28,7% des appels ont sonné dans le vide. Et les abonnés sur liste rouge n'ont pas été contactés.
Golfech dispose à présent d'un système d'alerte de la population par téléphone portable que l'Etat envisage d'étendre au niveau national.
Les municipalités sont aussi censées passer en voiture dans les rues avec un haut parleur, mais ce dernier s'avère à peine audible, comme l'a constaté l'AFP. A l'heure du double vitrage, ce système paraît si inopérant que M. Calafat y a renoncé.
Les problèmes d'alerte «c'est vrai partout», assure le président de l'Anccli, Jean-Claude Delalonde.
Les centrales elles-mêmes sont-elles parées? Beaucoup en doutent depuis l'exercice de crise improvisé demandé par des parlementaires lors d'une visite surprise à Paluel (Seine-Maritime) en 2011. Documentation parfois erronée, clef du tableau électrique indisponible: Claude Birraux, alors président (UMP) de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), y a constaté «des situations parfois burlesques».
La communication entre les autorités ne semble pas rodée non plus. Fin 2011, lors du dernier exercice autour de l'usine de retraitement d'Areva à Beaumont-Hague (Manche), qui concentre le plus de matière radioactive en Europe, la préfecture a mis 40 minutes pour parvenir à se connecter en audioconférence avec Areva et l'ASN. Les codes téléphoniques n'étaient pas les bons.
«Nombre d'exercices demandent à la population de rester chez elle et de laisser les enfants à l'école. Mais des alertes déclenchées par erreur ont montré que quand les gens pensent que c'est un véritable accident, ils se précipitent à l'école pour prendre leurs enfants et s'en aller», témoigne Alexis Calafat, qui préside l'association des maires de communes où se trouvent des sites nucléaires.
A Gravelines, en 2011, on a testé l'évacuation. Résultat: un «ballet incessant d'autobus qui se croisaient et se recroisaient au centre de Gravelines et créaient des bouchons inextricables, parce que les chauffeurs ne savaient pas où ils devaient se rendre», selon un rapport de la CLI.
A Golfech, les exercices de crise ne sont plus pratiqués que tous les cinq ans au lieu de trois ans, pour des raisons budgétaires, déplore M. Calafat.
Et dans la très nucléaire Normandie, où l'usine de la Hague est restée coupée du monde pendant deux jours en 2013 à cause de la neige avant que l'armée ne dégage la route, les élus s'interrogent sur l'accessibilité des sites.
La France a toutefois progressé depuis 20 ans, nuancent des élus.
En témoigne la création après Fukushima des Forces d'action rapide nucléaire (Farn), composées de 230 «pompiers du nucléaire». Ce dispositif unique au monde, salué par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), est réparti sur quatre sites: Paluel, le Bugey, Civaux (Vienne) et Dampierre (Loiret).
Depuis 2011, tous les départements doivent avoir leur stock d'iode à distribuer sur tout leur territoire. Dans le Haut-Rhin, par exemple, les lieux de stockage sont multiples. En Moselle, les comprimés sont regroupés à moins de 15 minutes de la centrale de Cattenom. Dans la Manche, en revanche, ils sont près de Saint-Lô, à une heure et demie de route de Flamanville.
En cas d'accident, une fois les comprimés acheminés dans le canton concerné, il revient aux maires d'avoir une liste de volontaires pour les distribuer. «Les maires en sont pénalement responsables. Ils peuvent se retrouver face à un tribunal comme celui de la Faute-sur-mer», affirme Yannick Rousselet de Greenpeace France. L'ancien maire de cette commune vendéenne a été condamné en décembre à quatre ans de prison ferme pour la mort de 29 personnes lors du passage de la tempête Xynthia en 2010.
Quant à l'Assemblée nationale, elle devrait voter jeudi, sur proposition de l'UMP, la création d'un délit pénal d'intrusion dans les centrales nucléaires, passible d'un an d'emprisonnement, pour s'opposer aux actions des militants antinucléaires.