Une écrasante majorité de français veut plus d'énergie renouvelable et moins de nucléaire
Et si les Français étaient moins pro-nucléaires que leurs voisins Allemands, mi-verts mi-charbon, ne le pensaient ? Et si le slogan venu d’Outre-Rhin «Atomkraft nein danke» (l’atome non merci) commençait à faire son chemin dans le pays le plus nucléarisé au monde ?
Quand on voit l’indifférence générale qui a accueilli le report de la fermeture de la centrale de Fessenheim, au mieux à fin 2018, et le renvoi par le gouvernement français à 2035 des grands objectifs de la transition énergétique (50% de nucléaire contre 75% aujourd’hui dans le mix électrique), il serait permis d’en douter.
Pourtant, selon un sondage commandé à l’institut Harris Interactive (1) par la Fondation Heinrich Böll (proche des Verts allemands) et la Fabrique Ecologique, qui sera publié vendredi et que Libération dévoile en primeur avec la Frankfurter Allgemeine Zeitung, l’opinion des Français vis-à-vis du nucléaire est beaucoup moins favorable - ou en tout cas moins neutre - que par le passé. Surtout, ils s’engagent de plus en plus en faveur d’un développement rapide des énergies renouvelables.
Priorité aux énergies nouvelles
Alors que l’Hexagone compte toujours 58 réacteurs nucléaires (sans compter l’EPR de Flamanville qui devrait entrer en service à la fin de l’année prochaine), ils seraient 83% à penser que la France ferait mieux d’investir dans les énergies vertes que dans le nucléaire, contre 16% seulement à privilégier la consolidation de l’atome comme source d’énergie. Dans le détail, quand on leur demande «à quoi les investissements dans le secteur de l’électricité en France dans les années à venir devraient-ils être principalement affectés ?», les sondés sont encore 75% à réclamer un investissement «prioritaire» dans les énergies renouvelables, contre 23% seulement à demander la priorité à la poursuite des dépenses nucléaires. Les femmes (78%) et les sympathisants de gauche (85%) sont surreprésentés dans le camp des partisans de la transition énergétique, tandis que les électeurs de droite (39%) et du FN (37%) fournissent le gros des bataillons pro-nucléaire. Alors que les écologistes ne pèsent plus grand-chose sur le plan politique en France, c’est donc le clivage droite-gauche qui domine sur ces questions.
«Nous avons été agréablement surpris: ces résultats vont à l’encontre de ce que pensent les Allemands, qui voient globalement la France comme un pays toujours pro-nucléaire. C’est une bonne nouvelle, commente Jens Althoff, le représentant de la Fondation Heinrich Böll à Paris. Mais ce qui est plus intéressant encore, c’est le fait que les Français s’engagent fortement pour un développement des énergies renouvelables dans leur pays». De fait, 63 % des sondés considèrent la transition énergétique plus comme «une opportunité» que comme «un risque». Et «plus encore parmi les hommes, les catégories aisées, les sympathisants de gauche et de La République En Marche», analyse Jean-Daniel Levy, le directeur du département politique-opinion d’Harris Interactive.
«L’exemple allemand»
Pour ce dernier, «l’exemple allemand» de la sortie du nucléaire d’ici à 2022, décidée en 2011 a sans doute constitué pour les Français «une source d’inspiration voire un encouragement à avancer dans cette voie», même si tout n’est pas vert dans le bilan énergétique outre-Rhin. Les Français n’ignorent pas que l’Allemagne a dû relancer ses centrales à charbon pour compenser la fermeture de ses tranches nucléaires: ils estiment ainsi à 72% que la transition énergétique allemande n’a pas assez contribué à la réduction des émissions de CO2. Mais ils sont 65% à estimer qu’elle a favorisé la création d’emplois et autant à juger qu’elle a relancé l’économie. Ainsi, 64% considèrent l’exemple allemand comme la preuve qu’un pays développé peut sortir du nucléaire…
A cet égard, le sondage a évité la question frontale et très clivante «Pour ou contre la fermeture des centrales nucléaires en France», qui n’aurait peut-être pas donné le même résultat. La filière emploie encore directement plus de 120 000 personnes dans le pays et plus de 400 000 avec les postes induits, soit 2 % de l’emploi en France. Et le débat sur la fermeture de la centrale de Fessenheim a montré que l’opinion était encore divisée, en raison de l’impact social immédiat qu’aurait l’arrêt du nucléaire. Mais Jens Althoff estime que les Français «préféreront désormais investir 100 milliards d’euros dans le développement d’une industrie des énergies renouvelables qui créera de la richesse et de l’emploi, plutôt que 100 milliards dans la continuation d’une énergie du passé», avec les travaux prévus par EDF pour prolonger la durée de vie de ses centrales, démanteler les vieux réacteurs, ou encore construire des EPR.
Vers un Airbus des renouvelables ?
Au bout du compte, Jens Althoff estime que «les Français sont beaucoup plus favorables à un engagement plus fort de la France contre le changement climatique et pour une transition vers les énergies renouvelables, que leurs dirigeants et nombre d’acteurs du débat public ne le pensent». Et qu’ils sont, dans leur majorité, «beaucoup plus en avance sur ces questions que la plupart des élites économiques et politiques du pays». Le responsable de la Fondation Böll appelle de ses vœux «une plus grande coopération franco-allemande dans le domaine de la transition énergétique, avec la perspective de développer une politique européenne de l’énergie». Un Airbus des énergies renouvelables ? L’idée avancée ici et là pourrait faire son chemin, à condition que la citadelle EDF - et avec elle l’Etat toujours actionnaire à plus de 83 % du groupe - sorte de sa logique du presque tout nucléaire pour investir beaucoup plus fortement dans le secteur. Car depuis la vente des turbines d’Alstom à l’américain GE et celle des éoliennes d’Areva à l’allemand Siemens, aucun autre acteur français ne semble en mesure de relever le défi des énergies vertes.
Hasard du calendrier, le PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy, devrait annoncer ce lundi 11 décembre un nouveau cap stratégique visant à renforcer fortement l’engagement de l’électricien dans les énergies éoliennes et le solaire à travers sa filiale EDF Energies Nouvelles. Une manière de répondre à la demande du ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot, qui, lui, a demandé un vrai plan de marche dans ce secteur, après avoir prévenu dans une interview au Financial Times que «demain, la norme ne doit plus être l’énergie nucléaire, mais les énergies renouvelables». Mais c’est la pression venue des citoyens consommateurs d’électricité qui sera sans doute le premier levier d’une véritable transition énergétique en France.
Source : libération.fr