Compteur Linky : une note salée pour les particuliers
Ces boîtiers intelligents doivent permettre aux consommateurs de réaliser des économies d’énergie. Ils sont surtout une bonne affaire pour l’exploitant du réseau. Contrairement aux promesses, les Français devront mettre la main à la poche. Décryptage.
Déployés depuis la fin de 2015 par Enedis (ex-ERDF), les nouveaux compteurs électriques intelligents baptisés Linky sont déjà présents dans neuf millions de foyers. Leur particularité : ils envoient et reçoivent des informations sans l’intervention d’un technicien.
L’objectif affiché étant de permettre aux particuliers une meilleure maîtrise de leur consommation d’électricité, et donc des économies sur la facture. Les yeux rivés sur 2021, date butoir de renouvellement de l’ensemble du parc de 35 millions de compteurs d’ancienne génération, Enedis ne ménage pas ses efforts : à l’heure actuelle, c’est au rythme de 30 000 boîtiers posés chaque jour que Linky progresse dans toute la France ! Problème : la contestation s’amplifie. Avec, notamment, comme sujet d’inquiétude la santé.
De nombreuses associations, telles Robin des Toits, s’insurgent contre l’émission d’ondes électromagnétiques, jugées dangereuses. Ensuite, et surtout, les compteurs jaunes sont pointés du doigt pour leur financement. Enedis promet, en effet, qu’ils ne coûteront pas un centime aux particuliers. Une affirmation battue en brèche par la Cour des comptes. Dans un rapport sévère, publié en février dernier, les sages de la rue Cambon ont dénoncé un « dispositif coûteux pour le consommateur, mais avantageux pour Enedis ». En clair, et à l’encontre du discours officiel, Linky va permettre au gestionnaire de réseau de faire son beurre sur le dos des clients.
Pour comprendre, il faut revenir sur quelques aspects techniques. Le déploiement des compteurs sur l’ensemble du territoire est assuré par Enedis, mais l’installation à proprement parler a été déléguée à des prestataires.
A raison de 130 euros par compteur, pose comprise, le programme de remplacement se chiffre au total à 5,7 milliards d’euros. Pour financer cette dépense non négligeable, l’entreprise a recours, sur demande de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), à un dispositif particulier : le différé tarifaire. Concrètement, elle avance dans un premier temps l’argent (les clients ne paient rien pour l’installation) et se remboursera avec intérêts à partir de 2021 via les factures. « Les coûts associés au déploiement des compteurs seront inclus dans le Turpe (tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité, NDLR), qui représente plus d’un tiers de la facture d’électricité des particuliers », confirme Sylvain Le Falher, président-directeur général et cofondateur de la start-up Hello Watt, un comparateur en ligne.
Dans le même temps, Enedis compte sur les économies théoriquement réalisées grâce à Linky – suppression des relèves à pied, diminution des fraudes… – pour les répercuter aux clients et annuler la hausse prévisible du Turpe. Un système vertueux a priori. Sauf que la Cour des comptes ne l’entend pas de cette oreille. Outre que rien ne garantit que les économies attendues seront suffisantes pour compenser l’augmentation des tarifs, elle révèle que l’exploitant du réseau fera peser au passage un surcoût de 506 millions sur les particuliers. Ce dernier correspond à la différence entre le taux auquel Enedis se finance et celui auquel elle accorde l’avance des frais d’installation. Soit une marge de 2,8 % ponctionnée sur les clients.
Et ce n’est pas tout. Un bonus est aussi prévu sur les performances de Linky (interventions à distance, rapidité de détection et d’intervention en cas d’incident…) : 1 % de la valeur prévue des investissements, répercuté là encore sur la facture des usagers. Un joli pactole que Bernard Lassus, directeur du programme Linky, tente de justifier : « Linky présente un véritable risque industriel, car Enedis devra payer des pénalités si les coûts et les délais ne sont pas respectés. » Or la Cour souligne qu’en réalité les sanctions ne sont contraignantes qu’en cas de retards importants. Pas de quoi réellement inquiéter l’entreprise…
La pilule aurait moins de mal à passer si les économies d’énergie promises aux consommateurs étaient bien au rendez-vous. Mais, là encore, le compte n’y est pas. Enedis vend Linky comme un outil de maîtrise énergétique. Sauf que les informations disponibles via le compteur se limitent à l’index de consommation, à l’option tarifaire souscrite et à la puissance (apparente et maximale). Impossible de connaître la consommation en temps réel et ses variations, indispensables pour identifier, par exemple, les pics de consommation et donc changer ses habitudes. Pour ce faire, il aurait fallu adjoindre à Linky un « afficheur déporté ».
Ce boîtier ne sera disponible que pour les foyers en situation de précarité énergétique, en vertu de l’article 28 de la loi n° 2015-992, relative à la transition énergétique. A défaut, il faut payer pour l’obtenir ou se contenter des données consultables sur l’espace client en ligne (après avoir créé un compte spécifique). C’est-à-dire la consommation quotidienne en différé, exprimée en kWh et non en euros. Une mesure insuffisante elle aussi pour avoir un suivi fin. Enedis communique d’ailleurs peu sur le sujet : seuls 300 000 comptes ont été ouverts pour l’heure. Soit 3 % des usagers disposant de compteurs Linky.
A cette « pauvreté » des informations fournies s’ajoute la polémique sur la vie privée. Pour le collectif Stop Linky 47, le boîtier jaune est un « compteur mouchard », qui accumule de nombreuses données personnelles. Il enregistre la consommation d’électricité toutes les heures et peut techniquement le faire toutes les demi-heures, voire toutes les dix minutes. Or « une courbe de charge avec un pas de dix minutes permet de déduire de très nombreuses informations relatives à la vie privée, indiquait la Commission nationale informatique et libertés (Cnil).
Comme les habitudes de vie de l’abonné : heures de lever ou de coucher, nombre de personnes dans le foyer, périodes d’absences… » La commission a donc posé des règles claires pour encadrer les conditions de collecte et l’utilisation de la courbe de charge. Enedis ne peut, par exemple, la transmettre à des fournisseurs ou à d’autres prestataires qu’avec le consentement du client. Ce principe sera-t-il bien respecté en pratique ? Impossible de le savoir.
Face à cette remise en cause tous azimuts, une question se pose : peut-on s’opposer à l’installation d’un compteur Linky dans son logement ? Non, selon l’Assemblée nationale, qui a rejeté en février dernier un amendement visant à permettre aux particuliers de s’opposer à la pose de ces appareils. Mais, sur le terrain, la résistance s’organise : 451 maires auraient ainsi refusé l’installation de compteurs Linky sur leurs terres, d’après le recensement opéré par le site militant Poal (Plate-forme opérationnelle anti-Linky).
« Les données recueillies par ce compteur pourraient permettre aux fournisseurs d’électricité de prendre des décisions néfastes pour les usagers, comme les coupures arbitraires à distance », dénonce Joachim Moyse, maire de Saint-Etienne-du-Rouvray, une commune de 28 000 âmes de Seine-Maritime. Les élus et le maire ont signé en septembre un arrêté interdisant purement et simplement le déploiement de Linky sur la commune. Une démarche symboliquement forte, mais qui ne semble pas porter de fruits au niveau juri dique, comme le prouve la décision du tribunal administratif de Montreuil, en Seine-Saint-Denis. Les juges ont annulé, en décembre dernier, l’arrêté du maire de la commune qui instituait un moratoire sur l’installation des compteurs Linky. Selon les magistrats, il n’avait pas été constaté de trouble à l’ordre public, seul argument pouvant justifier à leurs yeux une telle décision par un édile.
Enedis fait tout également pour dissuader les récalcitrants. Bernard Lassus martèle qu’« il n’existe pas de procédure de refus d’installation d’un compteur Linky » et qu’en cas d’opposition, il faudra payer « un relevé spécial au moins une fois par an », correspondant aux frais de déplacement des agents pour relever l’ancien compteur. De plus, en vertu des conditions générales définies par Enedis, l’entreprise peut aller jusqu’à la coupure de l’électricité, le refus de l’installation de Linky pouvant être qualifié de trouble affectant l’exploitation ou la distribution de l’énergie (article 11.6.1 du contrat d’accès au réseau public de distribution pour une installation de consommation de puissance inférieure ou égale à 36 kVA). En clair, le compteur électrique n’est pas la propriété du consommateur, mais celle du gestionnaire de réseau, qui peut dès lors le remplacer selon son bon vouloir.
Au niveau légal, les sanctions de 1 500 euros, prévues par la loi sur la transition énergétique en cas de refus de l’installation, ont été supprimées. Résultat : votre contrat stipule que vous devez accepter l’installation de Linky, alors que la loi ne prévoit pas de sanction en cas de refus… Une faille que certains ont décidé d’exploiter. Arnaud Durand, avocat au barreau de Paris, argumente : « Enedis prétend depuis le départ que le compteur Linky serait obligatoire ; pourtant, aucune directive, loi ou règlement n’oblige le consommateur à l’accepter. »
Selon l’avocat, Linky n’étant pas un simple compteur utilisé pour la gestion du réseau, mais « un produit destiné aux consommateurs dans le cadre de la maison connectée », Enedis devrait se soumettre aux règles les plus élémentaires du droit de la consommation : demander l’accord explicite des particuliers avant toute installation. « L’entreprise va même plus loin en déployant ces compteurs intelligents chez des personnes ayant manifesté leur refus via l’envoi de lettres recommandées », relève Arnaud Durand. Comme il estime qu’Enedis ne respecte pas le droit, il va saisir les tribunaux, avec son confrère Christophe Lèguevaques, par le biais d’une action collective réunissant au moins 1 000 particuliers.
« Notre objectif est double : que les personnes n’étant pas encore équipées puissent le refuser et, pour les autres, nous demandons la repose d’un compteur traditionnel ou a minima la désactivation de la fonctionnalité communicante. » De son côté, l’UFC-Que Choisir a lancé en ligne une pétition visant les 200 000 signatures. L’association ne réclame pas le droit pour les usagers de refuser d’installer des nouveaux compteurs, mais simplement que la rémunération d’Enedis soit revue de telle sorte que les consommateurs ne paient pas l’addition et que le dispositif soit amélioré afin qu’il remplisse véritablement son rôle d’aide à la maîtrise de sa consommation énergétique. Une chose est sûre, Linky n’a pas fini de faire parler de lui
Source : Mieux vivre