Un projet de décret pourrait faciliter le déboisement en France
Edouard Philippe, le 28 Mai, à l'assemblée nationale disait qu'il fallait aller encore plus loin dans la transition écologique; le gouvernement visiblement embarrassé par l'inquiétude des européens en matière climatique et humilié par sa défaite prenait acte humblement. Seulement, aujourd'hui nous apprenons qu'un décret pourrait faciliter le déboisement en France. L'art du double langage de ce gouvernement frise avec l'insulte.
C'est un projet de décret qui a provoqué la surprise et l'indignation auprès de la plupart des salariés de l'ONF. Le ministère de la Transition écologique et solidaire souhaiterait se passer de l'avis de cette instance pour les opérations de déboisement dans des sites qui sont gérés par les collectivités locales.
Après les sites classés, les forêts françaises seraient-elles aussi dans le viseur du gouvernement? En France, la surface totale des forêts représente 17 millions d'hectares. Ce sont plus de 4,5 millions d'hectares de forêts qui sont aujourd'hui gérés par l'Office national des forêts (ONF) au nom de sa mission de service public, dont 2,9 millions d'hectares de forêts communales en France. Soit 63% de la surface des forêts publiques. Or, dans le cadre de la simplification des procédures d'autorisation environnementale, le gouvernement souhaiterait se passer de l'avis de l'ONF concernant certaines opérations de défrichement effectuées dans les forêts communales.
Mis en ligne le 16 avril dernier, ce projet de décret relatif à la simplification de la procédure d'autorisation environnementale signé par le ministère de la Transition écologique et solidaire s'inscrit "dans une volonté de proportionner au mieux les aspects procéduraux aux enjeux, en donnant des marges d’appréciation au préfet qui mène la procédure". Ce projet a jusqu'ici été soumis au Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques (CSPRT) du 26 mars 2019, et doit faire l’objet d’autres consultations. Mais sans réelle vision sur sa possible application, ce dernier ne manque pas de provoquer les plus vives inquiétudes auprès du SNUPFEN, le premier syndicat du personnel de l'ONF. Dans un communiqué datant du 20 mai, ce syndicat estime que "le gouvernement prend des mesures facilitant la déforestation en France".
L'ONF a fait savoir qu'elle ne commentait jamais une loi de ses tutelles. Interrogé par le journal le Parisien, le ministère de l'Ecologie a fait de son côté valoir que "l’ONF n’est pas forcément compétente pour les forêts gérées par les collectivités locales et on se retrouve dans certains dossiers nécessitant des autorisations environnementales avec un empilement de consultations obligatoires qui ne sont pas impératives, ralentissent le processus de décision et engorgent les services chargés d’instruire les dossiers".
"L'environnement, ça commence à bien faire"
Jusqu'à présent toute demande effectuée pour défricher une partie de la forêt publique devait recueillir au préalable l'avis de l'ONF au titre de son rôle de protection de la forêt concernée, mais aussi au titre de son expertise sur la nature du peuplement forestier, présence des espèces animales et végétales rares ou menacées. "Qui connaît mieux ces forêts-là que le service public forestier qui les protège et les gère depuis plusieurs siècles?", s'indigne le syndicat qui représente 45% du personnel de l'ONF qui compte 8.500 salariés de droit public et privé. Une enquête publique à ce sujet aurait été lancée en catimini, mais les conclusions n'ont jusqu'ici pas été rendues publiques. "Dorénavant, pour décider d’autoriser ou non la transformation d’une forêt en zone commerciale, en lotissement ou en champ de blé, l’Etat se passera de notre avis", s'indigne toujours le syndicat qui relève que "les gouvernements se succèdent, font tous de beaux discours sur l’écologie mais au final partagent le même credo: l’environnement, ça commence à bien faire."
"La tendance générale de ce projet de décret est bien d'accélérer les procédures de défrichement, de désengorger les services chargés d'instruire et de permettre la réalisation de projets qui répondent pour la plupart à des intérêts économiques plus rapidement", fait savoir Philippe Lucas, secrétaire général du SNUPFEN. Le danger selon lui est de ne plus chercher à savoir ce que l'on va défricher. Et fatalement, "ça va avoir des conséquences sur la biodiversité et le paysage". Ce que confirme Sandrine Chauchard, enseignante-chercheuse, spécialiste en écologie des communautés, des paysages et en écologie historique à l'Université de Lorraine qui évoque bien "un risque environnemental" si ce projet de décret venait à être appliqué.
L'ONF dans "l'oeil du cyclone"?
En interne, ce projet n'a pas manqué de secouer des salariés déjà sur le qui-vive quant à l'avenir de l'ONF qui serait dans "l'oeil du cyclone" du gouvernement. "Ce genre de projet est quand même symptomatique", souligne Philippe Lucas. "Nous sommes le bras armé de l’Etat en matière de politique forestière publique et on nous met sur le côté sur un sujet majeur de défrichement, c’est à dire de transformer la forêt en autre chose, comme par exemple la culture, les parkings, les usines ou les lotissements", poursuit-il.
D'autant qu'une incertitude demeure sur sa provenance. Le ministère de l'Agriculture se serait élevé contre ce projet de décret qui aurait en réalité été imposé par le cabinet de François de Rugy. La menace, elle, est bien réelle. Concrètement, beaucoup de communes voient la forêt comme une possible réserve foncière, même si théoriquement, le régime forestier mis en oeuvre par l'ONF n'impose sur ces parcelles que des travaux à usage temporaire. Ce qui pourrait à terme faciliter l'implantation de structures telles que les éoliennes, les panneaux solaires ou encore les carrières dans le cadre de ces opérations de défrichement, qui prévoient de changer la vocation de ces forêts.
"Nous voyons notre forêt disparaître petit à petit, à cause des arrêtés préfectoraux autorisant le défrichement dans des parcelles appartenant à des agriculteurs. Ils sont chez eux, nous n’avons rien à dire et nous ne leur en voulons pas. Mais nous ne reconnaissons plus les alentours de notre village. Aujourd’hui on se croirait dans la Beauce ou sur le plateau du Larzac", regrettait dans L'Est républicain Richard Knavie, un habitant du petit village de Longeaux qui compte un peu plus de 200 habitants.