L’Île-de-France va s’effondrer... et la vie y sera belle

Publié le par Notre Terre

De Justine Guitton-Boussion (Reporterre)

Ile-de-France-verte


En 2050, la douceur de vivre se sera installée en Île-de-France, selon le dernier rapport de l’Institut Momentum. Un optimisme étonnant mais reposant sur une condition, que des mesures soient mises en place tout de suite, et que le monde politique commence à anticiper l’effondrement.

Science-fiction ou prémonition ? À la lecture du résumé du dernier rapport de l’Institut Momentum, on se retrouve songeur. En mars dernier, ce think tank spécialisé du thème de la décroissance a présenté une étude sur l’Île-de-France en 2050, à la demande du Forum Vies mobiles. Avec une consigne : décrire un scénario [1] dans lequel la région (comme le reste de la France) aura subi l’effondrement de notre civilisation industrielle. Imaginez. Plus de 30 années se sont écoulées, il n’y a plus de pétrole, toutes les centrales nucléaires ont fermé et les voitures ont quasiment disparu du paysage. Pas évident à visualiser, mais l’ancien ministre de l’Environnement Yves Cochet, l’écrivaine Agnès Sinaï et l’ingénieur Benoît Thévard s’y sont attelés.

Les trois auteurs ont utilisé différentes études et statistiques [2] pour appuyer leur scénario hybride, mi-fiction, mi-scientifique. Premier constat de ce futur pas si éloigné : la mobilité a diminué. Alors que le nombre de voitures en Île-de-France s’élève aujourd’hui à 5 millions, elles ne seront plus que 55.000 en 2050. « Ce n’est plus une flotte privée qui appartient à des individus, mais aux communes, prévoit Agnès Sinaï. Chaque commune a une flotte d’automobiles ou de véhicules comme des minivans ou des minibus utilisés pour des personnes handicapées, âgées, des usages médicaux... » Les habitants seront donc obligés de marcher, ou emprunteront des trains, métros, RER… Oui, rassurez-vous, il y en aura encore en Île-de-France. Mais ils ne seront plus que 3.000 à circuler chaque jour, contre 10.000 actuellement.
« On sera redevenus des habitants, pas seulement des usagers »

Une autre possibilité viendra s’offrir aux habitants : la traction animale. « Alors que moins d’une centaine de chevaux de trait étaient présents en Île-de-France en 2020, 100.000 ânes, mules et chevaux de trait vivent dans la région en 2050, grâce à une réorientation massive des haras, imagine Benoît Thévard. Ils mobilisent 150.000 hectares de terre pour leur alimentation, soit le quart des surfaces cultivées ! » Évidemment, le vélo sera également un moyen de transport privilégié. Les villes auront perdu le bruit incessant des moteurs et des klaxons, la nature aura recouvert les routes bétonnées, et les trottoirs seront des espaces partagés et verdoyants.
Continuons à nous projeter. L’étude de l’Institut Momentum établit un deuxième constat : la répartition de la population francilienne sera bien différente. En 2050, les territoires ruraux accueilleront 700.000 habitants supplémentaires. À l’inverse, Paris et sa zone urbanisée verront leur population divisée par deux. À cause du manque d’emploi, du coût de la vie, des températures extrêmes et des risques d’épidémies, les Franciliens préféreront partir s’installer dans des « biorégions ». « Une biorégion est un territoire dont les limites ne sont pas définies par des frontières politiques, mais par des limites géographiques », peut-on lire dans le résumé de l’étude. Les trois chercheurs ont d’ores et déjà identifié huit biorégions potentielles, en prenant en compte leurs rivières, leurs forêts, leur relief, etc. (voir schéma) « On s’est inspiré des cohérences écologiques et on s’est un peu calé sur les anciens pays », explique Agnès Sinaï.

biorégions


D’après l’écrivaine, il sera plus agréable de vivre en biorégions que dans la capitale. En outre, ces territoires ruraux seront plus aptes à résister au changement climatique. « On sera redevenus des habitants et pas seulement des usagers, anticipe Agnès Signaï. On connaîtra nos voisins, on saura si l’on peut échanger avec eux. On connaîtra les milieux dans lesquels on vit, on saura où trouver de l’eau, des pommes, des sources, où on peut manger telle chose. On sera plus autonomes. » Pour assurer la sécurité des biorégions, certains équipements seront nécessaires : « Plus un système est redondant, plus il est résilient, poursuit Agnès Sinaï. Si le mégahôpital tombe en panne, il n’y en a plus. Donc, il faut démultiplier les lieux du genre vitaux, c’est-à-dire tout ce qui est distribution d’eau, dépollution de l’eau, traitement des eaux usagées, des déchets… »

En 2050, les habitants ne dépendront plus d’industries pour se nourrir : « La moitié de la population — environ trois millions de personnes — participera à une activité agroalimentaire biologique en Île-de-France [de manière professionnelle ou amatrice], qui deviendra autosuffisante », écrivent les auteurs du rapport. Plusieurs corps de métiers seront amenés à disparaître, notamment ceux de la high-tech. Pourtant, Agnès Sinaï assure que personne ne devrait être au chômage : « On aura au moins deux activités chacun. Tout le monde devrait pouvoir avoir un revenu inconditionnel, lié au fait qu’on sera tous impliqués à temps partiel dans une activité de restauration, de réparation, d’acclimatation, de plantation, ou de récupération. On sera tous formés pour ça. »

Le secteur des énergies renouvelables sera également très actif : éolien, solaire photovoltaïque, solaire thermique, hydraulique, géothermie, etc. En 2050, ces « énergies vertes » seront les seules disponibles. Cependant, en raison de leur intermittence, la demande devra s’adapter à l’offre. Selon le rapport, la consommation énergétique de l’Île-de-France sera divisée par 2,6, ce qui correspond à l’équivalent de la consommation française par habitant du début des années 1960. « On acceptera que, quand on appuie sur un bouton, le monde entier ne vienne pas à nous dans la microseconde, parce qu’on aura été éduqués à penser différemment », prédit Agnès Sinaï.


« Moins de confort, est-ce le retour au Moyen-Âge ? »

Des moyens de transport doux, des biorégions où la nature a repris le contrôle, une convivialité entre voisins, du travail pour tous… Même si le scénario diffère beaucoup de ce que nous connaissons actuellement, l’hypothèse d’un effondrement semble presque désirable. « Le bien-vivre arrivera si on anticipe l’effondrement, estime Agnès Sinaï. Notre rapport décrit un système civilisé, donc anticipé par les politiques actuelles. Mais s’il n’est pas anticipé, ce sera peut-être moins civilisé. »

aéroport-verdure

Les trois auteurs ont choisi d’écrire cette étude pour proposer un scénario utilisable dès aujourd’hui par les autorités : la ville de Paris, la région Île-de-France, le ministère de la Transition écologique, le Premier ministre… « Il y a des créations politiques à imaginer à partir de ces constats », juge Agnès Sinaï. Elle pense que ces institutions devraient « accompagner les agriculteurs dans une réorientation radicale de leurs pratiques », lancer des pôles de formation en maraîchage, en agroforesterie, en low-tech, etc. L’écrivaine souhaite également que les institutions multiplient « les démonstrateurs en technologie douce de recyclage, de récupération, de démontage de supermarchés pour transformer ces espaces en serres horticoles, par exemple ». Enfin, elle voudrait que les organismes s’associent à des écologues pour découper géographiquement l’Île-de-France en plusieurs biorégions. Les auteurs de l’Institut Momentum espèrent présenter leur rapport aux institutions à la rentrée, ou dans le courant de l’année 2020.

D’après Agnès Sinaï, le scénario de l’Île-de-France en 2050 présente une douceur de vivre, loin de ce que nous connaissons actuellement, mais qui ne signifie pas un retour dans le passé. « C’est une espèce d’éthique et de responsabilité, argumente-t-elle. Ça passe en effet par moins de confort, c’est sûr, mais est-ce que ce que moins de confort, c’est le retour au Moyen-Âge ? On pourra quand même se retrouver dans des cafés, écouter de la musique, écrire et fabriquer des choses ensemble, faire pousser des choses, se déplacer, faire du spectacle, fabriquer des low-tech, créer de nouveaux savoirs, communiquer avec les animaux… Tout cela n’est pas moyen-âgeux si on a un système politique qui maintient des acquis de démocratie, de pensée. »

Publié dans Les bonnes nouvelles

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