Dans le parc naturel du Morvan, la déforestation se poursuit (sous la bénédiction de l'Etat français)

Publié le par Notre Terre

Morvan-déforestation

Le parc naturel du Morvan souhaite limiter les coupes rases, néfastes pour l’environnement mais utiles à l’industrie du bois. Parce qu’il s’oppose à une gestion intensive des forêts, il risque de perdre son label, et les subventions afférentes.

Le parc naturel régional du Morvan se trouve aujourd’hui dans une situation paradoxale. Cet établissement public qui a pour mission première « la protection de l’environnement » souhaite réguler les coupes rases qui sévissent dans ses forêts. Mais la préfecture de la région Bourgogne-Franche-Comté s’y oppose. Elle menace même de lui retirer son label et les subventions qui vont avec.

Pour garder son étiquette « parc naturel », l’organisme devra donc cautionner des pratiques industrielles qui dégradent les écosystèmes — en cas de coupe rase, les habitats de la faune et de la flore sont détruits, le sol mis à nu est tassé. Une contradiction qui révolte une partie de la population alors que l’exploitation des forêts s’accroît dans le Morvan et que des centaines d’hectares de bois sont rasés chaque année.

Localement, un front se dessine. D’un côté, le parc et les associations environnementales pensent que la forêt, même privée, constitue un bien commun. Ils exigent un droit de regard sur les modes de gestion de la filière forestière. De l’autre côté, les services de l’État et les professionnels privilégient le statu quo et défendent, en priorité, les intérêts économiques de la forêt.
Le bras de fer est engagé. L’issue, incertaine. Le dossier est maintenant sur le bureau de la ministre de la Transition écologique, Élisabeth Borne, qui tranchera le débat d’ici décembre 2019. « Nous sommes en sursis, avertit Sylvain Mathieu, le président du parc. Si l’État refuse notre nouvelle charte, on risque de perdre 120.000 euros d’aides. On ne demande pourtant pas la lune. »
« Il y a un ras-le-bol général par rapport à la gestion intensive de la forêt »

Dans sa nouvelle charte, le parc naturel régional propose plusieurs mesures pour mieux encadrer les coupes rases. Il faut savoir que, pour l’instant, les règles de droit sont peu contraignantes. Pour des forêts supérieures à 25 hectares, le propriétaire doit établir un Plan simple de gestion (PSG), dans lequel il programme ses projets de plantations, détaille les travaux et les coupes qu’il souhaite faire, notamment pour recevoir des subventions. Le document est validé ensuite par la préfecture et le centre régional de la propriété forestière (CRPF), un organisme géré par les grands propriétaires et les professionnels. Dans un Plan simple de gestion, aucune limite de taille n’est fixée pour les coupes rases. Les engagements en matière de biodiversité sont également minimes.

C’est dans les propriétés inférieures à 25 hectares que le déficit de régulation se fait encore plus ressentir. Le propriétaire — et les professionnels qui gèrent sa parcelle — ont les mains libres. C’est uniquement lorsque la coupe est supérieure à 4 hectares, d’un seul et même tenant, qu’ils sont obligés d’obtenir une autorisation préfectorale. Sinon, en dessous, rien. Ils peuvent couper comme ils veulent, en toute quiétude. Cette situation concerne 97 % des propriétaires et couvre 43 % de la forêt du parc du Morvan, soit 63.450 hectares.
Pour y remédier, le parc réclame que les coupes rases soient soumises à autorisation préfectorale dès que les parcelles dépassent 0,5 hectare au lieu des 4 aujourd’hui. Il voudrait également être consulté dès que des demandes de coupes sont adressées à la Direction départementale des territoires (DDT) et dans le cadre d’un Plan simple de gestion. Pour avoir un suivi et un contrôle. « Nous sommes des élus du territoire. Nous avons le droit de savoir ce qui s’y passe ! », argumente Sylvain Mathieu. « On reste gentils. On ne demande pas l’interdiction absolue des coupes rases, seulement une consultation. Même ça, ils nous le refusent. »

Ces mesures ont été votées à la quasi unanimité par le conseil associatif et citoyen du parc qui regroupe plus de 40 associations locales. Seul deux membres ont voté contre. Un consensus semble se dégager tant le Morvan incarne aujourd’hui l’industrialisation de la forêt en France. « Il y a une grande exaspération, un ras-le-bol général par rapport à la gestion intensive de la forêt », reconnaît une technicienne du parc.

Au quotidien, une dizaine d’abatteuses sillonne le massif et fauche les forêts comme de simples champs de blé

Les données manquent pour connaître l’étendue des coupes rases et l’enrésinement— lorsque les feuillus sont remplacés par des résineux — du Morvan. En 2003, l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) estimait que les plantations résineuses représentaient la moitié du parc régional. Depuis, ces surfaces ont sûrement augmenté. « Le Morvan est le territoire qui remplace le plus de feuillus par des résineux en France », assure Sylvain Angerand, de l’association Canopée. « La plupart de ces monocultures résineuses sont gérées ensuite en coupe rase, explique-t-il. On coupe la parcelle tous les 35 ans avant même que les arbres arrivent à maturité. »

Au quotidien, une dizaine d’abatteuses sillonne le massif et fauche les forêts comme de simples champs de blé. Ces machines pèsent plus de 25 tonnes. Elles coupent, billonnent et empilent entre 250 et 300 mètres cubes par jour, et remplacent jusqu’à dix bûcherons. Ce sont des monstres hybrides, mi tractopelle mi moissonneuse batteuse. Récemment, un nouveau modèle est arrivé sur le terrain. Les professionnels l’ont baptisé « Hannibal ».

Le site internet Global Forest Watch avec ses images satellites montre bien les métamorphoses que subit la forêt du Morvan. Le massif ressemble à une vaste mosaïque mouchetée de bleu et de rose. Les tâches roses indiquent les zones de déforestation, les pixels bleus les lieux de reforestation. Coupes et plantations sont les deux volets d’une même industrialisation.

coupe-rase-morvan
M. Mathieu, le président du parc : « On ne demande pas l’interdiction absolue des coupes rases, seulement une consultation. Même ça, ils nous le refusent. »


Reporterre a pu se procurer des extraits d’une étude restée confidentielle, commandée en 2017 par la Direction générale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) de la région. « L’enquête n’a toujours pas été rendue publique malgré les obligations légales », reconnaît un fonctionnaire. « Vous savez, les données sur ces questions là sont sensibles... »

En effet, l’étude vient conforter la thèse du parc naturel régional du Morvan. D’après celle-ci, la taille moyenne des coupes rases aujourd’hui est largement inférieure à 4 hectares. Elles échappent donc à toute forme de régulation. Sur les 740 hectares de coupes rases recensés en 2016, 87,2 % des surfaces sont inférieures à 4 hectares. « Il n’y a pas de contrôle dans ce cas, le radar de l’État est éteint », concède le même fonctionnaire qui souhaite rester anonyme.

L’État s’oppose aux mesures du parc pour des arguties judiciaires. Ces propositions sont jugées « invalides » selon la préfecture. Car si la loi autorise le préfet à baisser le seuil de demande d’autorisation de 4 hectares à 0,5 hectare, « la réglementation ne permet pas un zonage infra départemental », indique-t-elle. Or, le parc du Morvan se situe à cheval sur quatre départements.

L’argument est considéré « de mauvaise foi » par les élus du parc. Plusieurs départements ont en effet introduit des seuils différents au sein même de leur territoire. En Ariège, le seuil pour les demandes d’autorisation est fixé à 2 hectares pour les forêts classiques mais à seulement 0,5 hectare pour les forêts alluviales. En Charente, il est fixé à 1 hectare pour les feuillus, et à 4 hectares pour les autres peuplements. « Le droit forestier nous laisse une grande liberté, à nous de nous en saisir », plaide Sylvain Mathieu, le président du parc.

Contactée par Reporterre, la préfecture mentionne aussi « le manque de moyens humains » au sein de ses services. Abaisser le seuil pour les demandes d’autorisation de coupe rase entraînerait logiquement une multiplication des dossiers. « Pour l’instant, nous en recevons une dizaine chaque année pour des coupes supérieures à 4 hectares, rapporte un membre de la DDT, mais si le seuil passe à 0,5 nous en recevrons plus de 250 d’après nos estimations. C’est impossible à traiter. » Pour alléger la DDT, le parc propose d’y allouer lui aussi des moyens humains. Une solution jugée « pas sérieuse » par la préfecture.
Le syndicat des forestiers privés ne veut pas d’une « ingérence citoyenne »

Derrière ces querelles se joue en réalité une histoire plus grande : le positionnement de l’État vis-à-vis de la filière bois et sa capacité à réguler le secteur. « Il n’y a pas assez de contrôle, dénonce Sylvain Angerand. Aujourd’hui, les services de l’État servent d’abord de chambre d’enregistrement pour la filière. »

Sur les dix dossiers déposés chaque année à la préfecture pour les demandes d’autorisation de coupe rase, presque tous sont acceptés. « D’un point de vue environnemental, c’est assez sombre », admet un fonctionnaire qui témoigne de manière anonyme. « Ces autorisations servent surtout à protéger le propriétaire si jamais des associations écologistes portent plainte. Sa coupe, même industrielle et destructrice, sera agréée par l’État et donc plus difficilement attaquable. »
Les services de l’État soutiennent d’abord le milieu forestier. « Il est important que le paysage puisse être pris en compte mais cela ne doit pas se faire au détriment des propriétaires, déclare ainsi un membre de la DDT interrogé par Reporterre. La forêt demeure avant tout un enjeu économique », dit-il.

Le syndicat des forestiers privés est vent debout contre le projet de charte du parc naturel régional. Il pèse de tout son poids pour la rendre caduc et critique « une ingérence citoyenne ». « Je ne me permettrais pas de dire au propriétaire d’une usine comment il doit travailler. Alors pourquoi les forestiers devraient-ils subir ça ? Pourquoi devraient-ils être contrôlés sans cesse ? », s’interroge Alban de Montigny, porte-parole des propriétaires privés de la Nièvre. « L’avenir de la forêt du Morvan est dans le résineux. Je comprend que des gens puissent être choqués mais on oublie que la forêt, comme l’agriculture, est obligée de s’adapter au monde tel qu’il évolue. »

La bataille n’est pas finie.

Source : reporterre.net

Publié dans Nature

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article