Les betteraviers belges peuvent utiliser deux pesticides interdits par l'UE
Le Conseil d'Etat rejette une requête en extrême urgence visant à bloquer une dérogation accordée par le Fédéral aux producteurs de betteraves. Ceux-ci peuvent donc (momentanément) utiliser deux néonicotinoïdes en principe interdits par l'UE.
Depuis septembre 2018, cinq néonicotinoïdes, des insecticides qui s'attaquent au système nerveux des insectes, sont interdits de tout usage phytosanitaire dans l'Union européenne. Trois pays - l'Autriche, la Pologne et la Belgique - font de la résistance en recourant à la possibilité laissée aux Etats membres d'accorder à certains producteurs une dérogation de 120 jours.
Ceux-ci peuvent utiliser des semences enrobées de clothianidine et de thiaméthoxame, deux néonicotinoïdes produits par Bayer et Syngenta. A une condition: qu'il n'y ait pas d'alternative satisfaisante pour combattre un parasite. Cette dérogation concerne, chez nous, la betterave, la laitue et la chicorée.
A l'époque, le ministre fédéral de l'Agriculture, Denis Ducarme (MR), n'avait pas fait mystère de son intention de recourir pendant quelques années à ce régime dérogatoire. Son argument: la nécessité de protéger les semences de betteraves de la jaunisse virale véhiculée par les pucerons.
"Combat d'arrière-garde"
Accordée une première fois pour la campagne 2018-2019, cette dérogation a été renouvelée pour la campagne actuelle. Au grand dam des associations de défense de l'environnement, qui stigmatisent un combat d'arrière-garde. "C'est un mauvais signal donné aux agriculteurs à qui on laisse croire qu'il y a encore un avenir pour l'utilisation de tels produits", souligne Marc Fischer, secrétaire général de l'ASBL Nature & Progrès. Celle-ci a donc introduit, conjointement avec l'ONG européenne Pesticide Action Network (PAN), un recours au Conseil d'Etat.
Estimant que le recours à des semences enrobées d’insecticides ne répond pas aux critères d'urgence justifiant une dérogation, les requérants ont joint une requête en extrême urgence pour tenter d'obtenir l'annulation de l'autorisation. Ils n'ont pas été suivis. Le Conseil d'Etat - qui, de façon peu habituelle, n'a pas suivi son auditeur - a estimé que "la procédure dérogatoire de mise sur le marché d’un produit phytopharmaceutique non autorisé" pouvait être enclenchée avant "que le danger se réalise ou que la menace se concrétise".
L'affaire doit encore être traitée au fond, ce qui risque de prendre plusieurs mois. Du côté de PAN Europe, on espère à présent que le Conseil d'Etat traitera simultanément les deux recours introduits en 2018 et en 2019.
La peste ou le choléra
Dans l'immédiat, le recours n'étant pas suspensif, les producteurs de betteraves peuvent donc recourir à des semences enrobées de néonicotinoïdes du 15 février au 14 juin. Du côté des betteraviers, on précise que cette dérogation est assortie de mesures contraignantes pour les agriculteurs. "Si l'on ne pouvait pas traiter les attaques de pucerons avec ces néonicotinoïdes, il faudrait recourir à d'autres pesticides, ce qui reviendrait à remplacer la peste par le choléra", souligne Jean-Luc Claes, responsable du département légal à la Raffinerie Tirlemontoise.
Du côté des betteraviers, on insiste sur la nécessité de prendre des mesures préventives pour éviter les attaques de pucerons porteurs de la jaunisse des betteraves. "La sécheresse de l'an dernier a finalement empêché la prolifération de pucerons. Mais si les conditions météo leur sont favorables, planter des betteraves sans recourir dans certains cas à des néonicotinoïdes reviendra à jouer à la roulette russe", souligne Peter Haegeman, secrétaire général de la Confédération des betteraviers belges.
30% de la surface
Lors de la campagne précédente, environ 30% de la surface cultivée en betteraves - 20.000 hectares sur un total de 65.000 - avait été semée avec des semences enrobées de néonicotinoïdes. Pour la Confédération des betteraviers, c'est "la façon la moins nocive" de protéger la betterave. "Le climat belge nous rend très vulnérables à la jaunisse virale, ce qui n'est pas le cas de la France ou des Pays-Bas", souligne Peter Haegeman.
Du côté des défenseurs de l'environnement, on mise désormais sur une impulsion politique pour mettre un terme aux dérogations, qui, "par définition", doivent avoir un caractère exceptionnel. "En l'octroyant pour la deuxième année consécutive, on n'en fait plus une exception", souligne Martin Dermine, apiculteur et expert chez PAN Europe.
Celui-ci fonde ses espoirs sur l'avertissement voilé lancé par le SPF Santé publique. Sur son site dédié aux produits phytopharmaceutiques, le Comité d’agréation des pesticides à usage agricole prédit que les "exigences d'autorisation de plus en plus strictes" risquent de rendre impossible de renouveler une telle dérogation l'an prochain.
Source : lecho.be