L'hélicoptère au lieu des remontées mécaniques : comment les riches ont skié en temps de Covid

Publié le par Notre Terre

Fermeture des remontées mécaniques oblige, les skieurs les plus mordus et surtout les plus fortunés ont privilégié… l'héliski. Une pratique qui consiste à se faire déposer par hélicoptère au sommet d'une montagne avant de la dévaler. Pas vraiment donné à tout le monde.

héliski

L'hélicoptère doit se poser d'une minute à l'autre. En l'attendant, Philippe, doudoune bleue pétante sur le dos et chaussures de ski aux pieds, retrace à ses compagnons casqués et en combi quelques souvenirs d'une précédente expédition d'héliski, au Kamchatka. « Là-bas, c'était vraiment l'aventure. On volait dans de vieux hélicos de l'armée russe qui puaient le kérosène. Les pilotes étaient tous des anciens de la guerre d'Afghanistan. Et le décor… Fantastique. » Cette année, pandémie oblige, le chef d'entreprise ne peut pas s'offrir de périple à l'autre bout du globe, mais trouve son bonheur en vallée d'Aoste, en Italie.

Ce matin de mars 2021, sur l'héliport de Courmayeur, à la sortie du tunnel du Mont-Blanc, ils sont une quinzaine de skieurs à se payer le Graal, à s'envoler par petits groupes en direction des cimes enneigées, des glaciers et des vallées désertes. Déposés à 3 500 mètres d'altitude, ils auront la montagne pour eux, la plus belle des poudreuses, des descentes hors du monde et, surtout, un hélicoptère à disposition en guise de remontée mécanique. « C'est un privilège énorme, c'est un bonheur, poursuit Philippe. Mais on arrive au bout d'un cycle, je pense. On voit bien que ça pose quand même un peu problème pour la société d'aujourd'hui de prendre un hélico pour aller skier », concède-t-il, coupé par son guide qui signale l'arrivée imminente de l'appareil.

"Ils nous ont retiré les remontées, on prend l'hélico"

L’Écureuil – un hélicoptère léger, le même qui s'est posé au sommet de l'Everest en 2005 – surgit bruyamment, et se pose à quelques longueurs de bras des skieurs, genoux à terre et têtes courbées pour résister au souffle des pâles. Luca, le mécano, charge skis et bâtons dans le panier. Philippe et ses amis s'engouffrent à l'intérieur, se serrent à l'arrière. Porte fermée. Bref échange par radio, et l'hélico reprend son envol.

Huit minutes plus tard, c'est au tour de quatre copains, courtiers en assurances et fournisseurs pour des fonds d'investissement, de monter à bord. « Ils nous ont retiré les remontées, on prend l'hélico », se marre Bruno avant de vanter « le rêve de tout skieur ». Dernier groupe de la matinée : trois chirurgiens marseillais et un « futur golden-boy ». « C'est une clientèle fortunée, c'est sûr », glisse Jean-Charles, l'un des pilotes de la compagnie. « Mais c'est une clientèle respectueuse, qui aime réellement la montagne. Ce n'est pas des stars qui se paient un hélico pour faire n'importe quoi. L'héliski, c'est une pratique qui permet d'accéder très simplement à des endroits magnifiques, vierges. C'est comme le surfeur qui trouverait sa vague, sauvage, jamais surfée. Et ça, je crois que ça se défend. D'ailleurs on voit aussi des étudiants qui se saignent en quatre pour essayer. »

Une pratique plus courante dans les années 80

Pour une unique descente d'héliski, il faut compter plus de 400 euros par personne. Pour une journée complète, 1 000 euros. Une paille pour certains habitués, capables de se faire déposer en hélico-taxi depuis les pays voisins avant d'embarquer dans un appareil homologué pour la haute montagne.

Interdit en France par Valéry Giscard d’Estaing, pourtant très friand de la dépose en hélicoptère dans les sommets alpins jusqu'à se faire griller et pointer du doigt, l'héliski perdure de l'autre côté de la frontière, en Suisse et en Italie, occasionnant un drôle de jeu de saute frontière. Née au Canada au début des années 1970 - et aujourd'hui véritable industrie dans les Rocheuses où les hélicos, dans un ballet incessant, font office d’ascenseur vers les hauteurs -, la pratique n'a plus vraiment bonne presse en Europe. Si le « Far West des années 1980 », où les aéronefs pullulaient dans les stations, volaient et se posaient à peu près n'importe où, occasionnant un désordre monstre dans le massif, semble désormais complètement révolu au vu de la nouvelle législation et de l'encadrement, la pratique n'en est pas moins taxée d'anachronisme.

Une niche pour "de très bons skieurs avec des moyens"

« On paye les pots cassés d'une époque où c'était le Vietnam dans les montagnes », regrettent Jean-Charles et Marco, respectivement pilote et guide gestionnaire pour la compagnie italienne. « C'est sûr que c'est facile de taper sur l'héliski, c'est une cible symbolique. Mais je crois que c'est se tromper de combat, d'autant plus que ça reste extrêmement marginal. Mais on est dans une époque où tout est critiquable. Ok, ça fait du bruit. Mais où ça ? Dans des vallées où il n'y a personne. Si on travaillait comme des cow-boys, ça ne marcherait pas. Mais on fait les choses en bonne intelligence, il y a de la place pour tout le monde dans les Alpes. D'autant plus que les pilotes d'héliski sont les mêmes que ceux qui interviennent pour porter secours où faire vivre la montagne. »

Cet hiver, Kevin Gourgues, guide de haute montagne spécialisé dans l'héliski, habitué à s'aventurer avec des clients au Pakistan, en Alaska, en Islande ou dans l'Extrême-Orient russe, n'a pas pu emmener dans la poudreuse sa clientèle extra-européenne, refoulée aux frontières. Mais le téléphone sonne tout de même. « Beaucoup de gens qui n'ont clairement pas le niveau m'appellent juste pour prendre l'hélico car les remontées sont fermées… Eux, je ne les prends pas. L'héliski, c'est une activité de niche qui s'adresse à une clientèle particulière : de très bons skieurs avec des moyens. » « Je n'emmène pas les clients pour faire du manège mais pour qu'ils aient une expérience inoubliable », ajoute Quentin, un autre guide.

Interdit sur les pentes françaises, autorisé sur les pentes italiennes

D'autres compagnies sont moins tatillonnes, et acceptent volontiers des touristes avec un niveau de glisse médiocre, et les déposent dans des pentes plus accessibles, à condition de mettre le prix. « Il y a des gens qui sont tout à fait capables de se dire : tiens, il n'y a pas de remontée mais on pourrait prendre un hélico demain », caricature Hervé, guide basé à Courchevel, fin connaisseur des mœurs d'une clientèle aux portefeuilles bien remplis.

« Quand on est dans l'hélico, c'est beau. Et c'est chouette de se faire déposer sur sa montagne, c'est sûr », admet Vincent Neirinck, en charge du dossier « Silence » pour l'association Moutain Wilderness, très active sur le sujet de l'hélicoptère en montagne. « Mais ça ne va pas. Quelques-uns ne peuvent pas foutre en l'air le bonheur de tous les autres. La montagne, c'est un cadre exceptionnel qui implique des responsabilités » insiste-t-il, tout en reconnaissant l'utilité de l'hélicoptère en tant « qu'outil ». « Ce n'est pas pour rien que l'héliski est interdit en France. Même si la loi permet des choses absurdes selon que les pentes soient côté français ou italien… Et il n'y a pas que l'héliski ! Il y a tous les vols panoramiques et les hélicoptères qui servent de simple navette pour faire gagner du temps aux plus riches », accuse-t-il.
"Certes, ce n'est pas écolo"

Kévin Gourgues, lui, a renoncé à défendre son activité sur la place publique. « C'est un super bouc émissaire, très facile à pointer du doigt. Ce n'est pas un hasard si dans ce petit monde on en vient à se dire « pour vivre heureux, vivons cachés. » Certes, ce n'est pas écolo et on ne peut pas en faire l'apologie. Mais nous aussi on espère qu'un jour on pourra avoir des appareils plus discrets, électriques. »

En attendant, Jean-Charles se régale aux commandes de l’Écureuil. En survolant les traces matinales des skieurs qui serpentent en plein rêve au pied des Pyramides Calcaires, le Mont Blanc en arrière-plan, celui qui a piloté au service de scientifiques dans les coins les plus reculés de l'Arctique ou pour « la plus noble des missions : le secours » se dit que, tout de même, s'offrir un tel décor n'a pas de prix.
Source : Marianne.fr

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