La déforestation causée par les cultures de soja au Brésil provoque des canicules et fait baisser le rendement agricole
La destruction de la forêt et des savanes amazoniennes pour cultiver du soja a un impact négatif direct et rapide sur ces cultures. En cause, la modification du climat local conduisant à des canicules faisant ainsi perdre des milliards aux agro-industries chaque année, en plus de nuire à la biodiversité et au climat global.
C’est le serpent qui se mord la queue. Déforester pour planter davantage et finalement produire moins, en voilà un paradoxe. Il ne semble pourtant pas si abstrait pour les scientifiques qui travaillent sur les services écosystémiques rendus par les forêts, et qui tirent la sonnette d’alarme depuis des années face à la déforestation.
"La destruction des forêts et autres écosystèmes fait instantanément monter la température et réduit les précipitations dans les environs proches du lieu de la destruction, ce qui brûle les plants de soja et porte gravement atteinte à la rentabilité du secteur", déclare dans un communiqué Rafaela Flach, auteur principal d’une étude parue le 12 juillet 2021 dans la revue World Development. Dans ce travail, les chercheurs ont évalué la valeur économique du biome (vaste zone géographique qui partage un climat, une faune et une flore similaire) amazonien et de ses services écosystémiques au regard des cultures de soja.
En 2019, la culture du soja représentait 49% des terres cultivées et 41% des revenus agricoles au Brésil. 37% des cultures de soja mondiales se trouvent d'ailleurs sur le territoire du géant d'Amérique du Sud ce qui en fait le plus gros producteur. Économiquement, l’enjeu est de taille et va de pair avec la consommation de viande par l’Homme. En effet, 87% du soja importé en Europe est destiné à nourrir les élevages animaux.
Une richesse irremplaçable
L’exposition au soleil et à la chaleur aide les cultures à croître, mais au-delà d’un certain seuil, la productivité diminue. En analysant les données des cultures de soja entre 1985 et 2012 dans les biomes de l’Amazonie et du Cerrado, les auteurs ont montré que la déforestation adjacente aux champs de soja est directement liée à la hausse de jour de canicules dans ces zones.
La perte de revenus due à une exposition accrue aux canicules sur cette période s’élèverait à 158,5 dollars par hectare et par an pour l'Amazonie et à 85,4 $ ha/an pour la région du Cerrado, soit une perte de plusieurs milliards de dollars chaque année ! Les chercheurs ont ensuite modélisé la perte monétaire future sur la période 2020-2050 si la déforestation continuait à ce rythme, si le code forestier régulant la déforestation illégale n’était plus appliqué, et enfin si la déforestation s’arrêtait complètement.
Sans surprise, continuer dans la même trajectoire ou ne plus réguler la déforestation coûterait des milliards de dollars supplémentaires. Pis, ces effets caniculaires s’additionneraient au réchauffement climatique causant des canicules plus sévères. Une autre étude récente montre que chaque jour de canicule supplémentaire au-delà des 30°C réduit la production de soja de 1 à 5%. "L’impact économiques de la déforestation sur la canicule et la réduction des précipitations est préoccupant. Mais lorsque l’on étudie ces impacts associés et que nous incluons le changement climatique, l'effet total peut être écrasant pour l'économie", alerte Rafaela Flach.
La prévention de ces phénomènes météorologiques n’est qu’un des services écosystémiques que rend la forêt tropicale. Elle régule également la saisonnalité des précipitations locales et le ruissellement entre autres. La déforestation perturbe la quantité de chaleur absorbée par la surface de la terre, mais aussi le refroidissement lié à la réduction de l'évapotranspiration par les plantes. Ces changements climatiques sont connus sous le nom de changement climatique biogéophysique. Les changements climatiques causés par les émissions de gaz à effet de serre, en revanche, sont appelés changements climatiques biogéochimiques.
Une déforestation historique
En trois ans, l'administration de Jair Bolsonaro, le président du Brésil, a affaibli 57 lois environnementales, réduisant les amendes pour des actes illégaux d’atteinte à l’environnement de 70 % en seulement 6 mois, de mars à août 2020. Cette publication voit le jour alors que le Brésil est confronté un épisode de sécheresse inquiétant. La déforestation en Amazonie a également progressé de manière spectaculaire, établissant de nouveaux records pour chacun des trois derniers mois, sans compter la saison des incendies ayant débuté plus tôt que la normale cette année. "La bonne nouvelle, c'est qu'il y a ici un côté gagnant-gagnant.
Par le passé et même aujourd'hui, de nombreuses terres sont déboisées au détriment de la production alimentaire et du climat", déclare Michael Obersteiner, coauteur de l'étude et directeur de l'Environmental Change Institute de l'université d'Oxford. "Le secteur du soja a la possibilité de réduire ce risque en mettant fin à la déforestation. Ce faisant, il profite à son industrie - sans parler de sa contribution majeure au ralentissement du changement climatique mondial."