Lutte contre les incendies géants : «On gagnerait à construire une flotte d’avions européenne»

Publié le par Notre Terre

Le président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, Grégory Allione, plaide pour une meilleure coopération entre les Etats pour lutter contre les mégafeux.

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Depuis quelques jours, des flammes mortelles, alimentées par une intense canicule, ravagent le nord de l’Algérie. Le bilan humain est lourd : au moins 28 soldats et 41 civils ont perdu la vie. Mercredi, Emmanuel Macron a déclaré qu’il apportait au peuple algérien «tout [son] soutien», qui se matérialise par deux Canadair et un avion de commandement français devant être déployés ce jeudi. Grégory Allione, président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers, faisait partie des cinq soldats du feu envoyés en Australie en janvier 2020, pour aider le pays à lutter contre des incendies géants. Il salue l’engagement de la France en matière de sécurité civile à l’étranger mais plaide pour plus de coopération entre les Etats, à l’heure où les grands incendies, dopés par le dérèglement climatique, se multiplient.

Pourquoi la France envoie-t-elle régulièrement des renforts importants lors de grands incendies à l’étranger ? Quelles sont les forces dont elle dispose ?

D’abord parce que la France est reconnue pour son expertise en matière de feux de forêts. Et puis, parce que notre système de sécurité civile est performant. Cela passe par une flotte d’avions bombardiers d’eau d’excellence, stationnée à Nîmes, et par notre capacité opérationnelle à la maintenir. Nous disposons de douze Canadair, ces avions qui puisent l’eau dont ils ont besoin dans les lacs pendant les opérations, et de quatre Dash, qui, eux, ont besoin d’être stationnés dans des aérodromes pour être rechargés en produit retardant [utilisé contre les flammes, ndlr].
Nous pouvons nous appuyer sur une organisation professionnelle qui constitue l’épine dorsale de notre sécurité civile, mais aussi sur une force immense : plus de 200 000 pompiers volontaires. Ils permettent de monter en puissance dès qu’un évènement particulier nécessite des secours. Le volontariat existe dans les autres pays européens. Mais la particularité de la France, c’est que les pompiers volontaires sont très régulièrement mobilisés sur le secours à la personne au quotidien. Ils sont maintenus en caserne, ce qui leur permet d’être formés et réactifs en cas d’événement exceptionnel.

Sur le terrain, comment lutte-t-on contre ces gigantesques feux en Kabylie ?

Nous avons dépêché en Algérie jeudi un avion de commandement et deux Canadair. Impossible de tous les envoyer, la France ne peut pas dégarnir complètement sa flotte. A chaque fois que l’un de ces appareils vole, il faut l’entretenir. Il sera donc forcément immobilisé pendant plusieurs jours.

Sur le terrain, tous les feux de manière générale doivent être attaqués vite et fort. Il faut éviter qu’ils prennent des proportions inhumaines. Quand cela arrive, ils se génèrent eux-mêmes, s’autoalimentent en énergie. Or dans ce contexte de canicule intense, si on laisse partir un incendie, il devient très vite un méga-feu. Et là, vous pouvez acheter tous les avions du monde, ça ne servira à rien. Nos moyens conventionnels sont dépassés.

Une des solutions consiste à utiliser le feu contre le feu. C’est une méthode ancestrale, qu’on appelle en France le «brûlage tactique» : on allume des feux en amont pour résorber le combustible. Ainsi, quand le feu principal arrive, l’incendie s’éteint.

L’Amérique du Sud en 2019, l’Australie en 2020, maintenant la Grèce ou l’Algérie… Les années passent et les grands incendies se multiplient. Faudrait-il revoir la coopération internationale en matière d’action contre ces grands feux ?

Les rapports du Giec nous font prendre conscience que nous allons devoir faire face à de plus en plus d’anachronismes météorologiques, avec des durées et des intensités beaucoup plus importantes. Des territoires qui étaient jusqu’à présent préservés sont désormais touchés par les canicules et victimes d’incendies, comme en Finlande.
Dès lors, on ne peut plus raisonner les uns et les autres en se focalisant uniquement sur notre territoire. Le feu n’a pas de limite géographique et exige la mobilisation de tous. Les grands incendies en Australie ont eu des répercussions dans le monde entier, ceux qui ont lieu en ce moment en Kabylie affectent l’air que nous respirons en Europe. On gagnerait à construire une vraie flotte européenne, à se donner encore plus de moyens pour s’entraîner ensemble, à mettre en place toujours plus de moyens de coordination entre les Etats. Il faut aller plus vite, plus loin.

Quel rôle pour la France dans cette stratégie internationale ?

Dans notre pays, on ne parle que des feux et des catastrophes lorsqu’ils sont là. On doit commencer par se doter d’une véritable politique publique de protection civile sur notre territoire, en travaillant plus sur la prévention et la planification, en perfectionnant nos moyens matériels et en continuant de défendre les pompiers volontaires. Cela passe par exemple par la mise en place d’un ministère dédié. La base de Nîmes, où sont aujourd’hui stationnés les avions bombardiers d’eau, doit devenir un pôle européen en matière de protection civile. On a besoin d’un portage politique fort et ambitieux.

Source : Libération

Publié dans Nature

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