Face au changement climatique, la France prépare la migration assistée des forêts

Publié le par Notre Terre

Chêne
Un chêne dans les bois de Saint-Bonnet-Troncais, en Auvergne, le 25 octobre 2018. La forêt de Troncais est célèbre pour ses chênes tricentenaires.

La migration assistée, en botanique, est le fait de déplacer artificiellement des espèces d’arbres d’une zone à une autre. Face à la rapidité du changement climatique, cette méthode est mise en avant en France par l’Office national des forêts (ONF), mais des précautions doivent être prises, alerte de son côté la Société botanique de France (SBF).

Des hommes écureuils à la recherche de graines. Durant l’automne 2021, l’Office National des Forêts (ONF), organisme chargé de la gestion des forêts publiques en France, a envoyé ses grimpeurs cueilleurs collecter des graines de cèdres dans la forêt des cèdres du Lubéron, dans le Vaucluse. Cet arbre résistant au changement climatique et apprécié pour ses qualités dans la construction et le mobilier pourrait être planté plus au nord, dans une démarche de migration assistée.

Un enjeu vital, alors que depuis 2018, 300 000 hectares de forêts sur le sol métropolitain subissent un dépérissement lié au changement climatique et aux bioagresseurs. Mais cette démarche de migration assistée, saluée par tous, ne doit pas prendre le risque de se tourner vers des espèces extracontinentales, alerte la Société Botanique de France (SBF) qui a publié un livre blanc sur le sujet début décembre.

Un constat de base qui fait l’unanimité

En temps normal, les arbres sont déjà des espèces mobiles. Ils étendent leurs territoires, migrent d’une zone biogéographique à une autre selon le climat, sur des centaines d’années. Mais d’ici trente ans, en France, de grands écosystèmes forestiers sont amenés à disparaître, sans être naturellement remplacés par d’autres essences. Jean-Marie Dupont, ingénieur forestier, botaniste indépendant et membre du conseil d’administration de la SBF, confirme : « Le rythme du changement climatique actuel est original et fulgurant, on n’a jamais connu cela par le passé. Les espèces risquent de ne pas avoir le temps de migrer. »

D’où l’objectif pour l’ONF de mettre en œuvre une migration assistée, pour assurer la continuité des zones forestières, dans un intérêt écologique… mais aussi économique : en France, la filière bois génère 400 000 emplois, pour 60 milliards d’euros de chiffre d'affaires par an. Xavier Bartet est le directeur adjoint du département Recherche, développement et innovation de l’ONF et chargé des projets liés aux adaptations des forêts au changement climatique. Pour lui, il y a urgence à transformer les forêts françaises : « On savait qu’il allait y avoir une évolution climatique, on ne s’attendait pas à ce que ce soit aussi violent. Là, on a déjà subi cinq sécheresses d’affilée. Heureusement, l’été dernier a été plus humide. La forêt a énormément trinqué, avec des dépérissements massifs. » L’idée de mettre en place une migration assistée est partagée par Jean-Marie Dupont, sous conditions : « L’idée de faire migrer des écosystèmes est très bonne, il faut le faire puisque les forêts vont dépérir et qu’il faut les aider à passer le cap. Mais encore faut-il que les essences proposées aux forestiers soient adaptées aux futurs climats de la zone ».

Des régions pas encore assez résilientes ?

L’ONF, lorsqu’elle récolte des graines, les fait sécher dans la sècherie de la Joux , dans le Jura. Elles sont ensuite stockées et mises à disposition des forestiers, sous forme de listes, qui seront approuvées régions par régions par les préfets de région. 129 essences sont subventionnées, donc encouragées par l’État, et listées dans les Programmes régionaux de la forêt et du bois. Mais c’est là que le bât blesse pour Jean-Marie Dupont : « Dans certaines régions comme en Normandie ou en Haut-de-France, plus de 50 % des essences proposées à subvention sont inadaptées au climat à venir. On plante encore aujourd’hui des arbres qui dans 20 ou 30 ans ne seront pas adaptés au climat dans lesquels ils vont grandir. La moitié de ce qui est proposé nous met dans le mur. Il y a même des essences proposées qui ne sont déjà plus adaptées au climat actuel ! »

Une incompréhension pour la SBF, alors que le corpus scientifique est dense sur le sujet. Surtout que l’État investit dans la recherche et dans la gestion des forêts. « On parle d’argent public dans le cadre des subventions aux plantations, mais on parle aussi d’argent public pour la recherche sur le sujet ! C’est quand même fou qu’il n’y ait pas une cohérence entre ces deux choses qui sont l’amont et l’aval d’un même enjeu », soupire le botaniste.

Si l'ONF admet que certaines essences ne sont pas adaptées à la totalité du territoire sur lesquelles elles sont proposées, elle considère en revanche que c'est parce qu'un territoire n'est pas homogène. « Quand on propose une liste, il faut qu’elle puisse s’adapter à tous les contextes. Il y a des endroits où l’on est en fond de vallon dans les régions, où il y a de l’humidité, de la fraîcheur, et où même avec le réchauffement climatique, on sera compatible avec les essences en place. Donc les éliminer parce que sur certaines zones précises, le climat sera défavorable, ce serait dommage. Aux forestiers de sélectionner celles qui sont les plus adaptées dans leur zone », argumente Xavier Bartet. 

Exotiques mais pas toujours sympathiques

L’État réfléchit également à utiliser plus d’espèces étrangères lors de migrations assistées, car plus résistantes aux climats futurs et aussi plus rentables : certaines poussent plus vite, produisent du meilleur bois. Des espèces non-indigènes sont expérimentées dans des îlots d’avenirs, des zones-tests, d’autres sont déjà présentes dans les listes subventionnées. Elles sont étrangères aux zones biogéographiques concernées et viennent pour certaines hors du continent européen.

Or, sur cent espèces exotiques introduites sur un territoire nouveau, dix s’acclimatent en moyenne, et sur cent qui s'acclimatent, une est invasive. Une probabilité certes faible, mais pas nulle, estime Jean-Marie Dupont : « C’est un gros souci, on a des exemples nombreux d’espèces qui sont devenues des pestes végétales contre lesquelles on dépense chaque années des milliers et des millions d’euros. »

Le botaniste alerte également sur la non prise en compte des risques de diffusion de ces espèces hors des îlots d’avenir. « Quand on regarde les paramètres qui sont testés dans ces dispositifs il y en a beaucoup, mais on ne regarde pas si cette essence va s’échapper de son enclos. Pire, il n’y a pas de suivi phytosanitaire, dans le sens où l’on va aller regarder s’il n’y a pas des maladies nouvelles qui sont introduite. » Un argument que ne « comprend pas » l'ONF. Pour Xavier Bartet, toutes les précautions sont prises dans les îlots d'avenir : « On a vérifié en amont qu’elles ne sont pas déjà envahissantes là où elles poussent, et on vérifie dans ce nouveau contextes elles ne le deviennent pas, en les surveillant comme le lait sur le feu. »

Une balance bénéfices-risques

Ces essences exotiques peuvent aussi transporter avec elles des champignons ou des insectes contre lesquels les espèces de la zone ne sont pas protégées. Dans les années 1970, la graphiose de l’orme a décimé les ormes français, du fait de l’introduction d’essences qui portaient cette maladie. Actuellement, la chalarose des frênes a été introduite en Europe avec le frêne de Mandchourie, en provenance d’Asie du Sud-Est, sans savoir que ce dernier portait cette maladie.

Pour Jean-Marie Dupont de la Société Botanique de France, la solution est simple : « Le mieux serait d’appliquer le principe de précaution et de faire de la migration assistée seulement sur des essences régionales venant de climats différents qui pourraient être remontées vers d’autres climats, comme cela est déjà en partie expérimenté. » Un avis que partage en partie l'ONF, en déclarant privilégier les essences locales. « La priorité est d’utiliser des essences locales : cela nous coûtera moins cher, ce sera plus facile, on les connaît. Mais on a intérêt, dans ce contexte d’incertitude, à diversifier au maximum. Si on n’a pas besoin d'utiliser des essences exotiques, tant mieux, on aura testé cela ne nous aura pas coûté très cher. Mais si on a besoin d’une diversité plus importante, on les aura sous la main », avance Xavier Bartet. 

Finalement, la question est aussi de savoir si la France aura le temps de faire la totalité des tests avant la disparition d'une grande partie des forêts : il faut des dizaines d'années pour recréer un écosystème forestier. Pour Xavier Bartet, de l'ONF, les débats avec la Société Botanique de France sont importants : « Est-ce qu’en fait ce n’est pas déjà trop tard pour sauver nos forêts ? C’est une excellente question, on est dans une course contre la montre. (...) Il faut qu’on trouve le bon curseur entre innover et passer à une diffusion plus large, et faire attention aux gardes fous, dont fait partie la SBF, pour ne pas jouer aux apprentis sorciers. On doit faire une analyse balance-risque, et lancer le déploiement dès que la balance semblera suffisamment en sa faveur. Si tout est en train de dépérir, il faudra bien faire un pari en espérant que tout ira bien. »

Sans actions humaines et sous l’effet du réchauffement climatique ou de maladies importées, le chêne, le frêne, le hêtre, pour ne citer qu’eux, pourraient alors fortement régresser sur le territoire métropolitain d’ici la fin du siècle.

Publié dans Nature

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