Le changement climatique en région méditerranée va bientôt engendrer des pénuries alimentaires
Le changement climatique affecte fortement les pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du nord. Résultat : une baisse de la production de céréales qui menace la sécurité alimentaire dans cette zone, va bousculer les marchés mondiaux et appelle des réponses techniques et politiques.
Offre, demande, flux commerciaux… Lors d’un séminaire organisé le 14 décembre, le Conseil international des céréales s’est demandé quel était l’avenir des bilans céréaliers mondiaux face au changement climatique, en particulier pour les pays de la région " MENA" (Moyen-Orient et Afrique du Nord).
Même si certains obtiennent des hausses graduelles de production, les pays de cette zone sont tous en déficit de production par rapport à la consommation en raison de conditions climatiques peu propices. « Les pires conditions au monde pour produire du grain », selon Jack Wade, météorologiste pour l’observatoire Aura Commodities.
Ils sont donc tous en situation de dépendance par rapport aux importations.
Et le changement climatique va rendre la production de céréales de plus en plus difficile dans cette zone. Le renforcement de l'effet de serre provoque de fait des conditions de plus en plus sèches et chaudes. « On produit du blé dans les endroits les plus chauds du monde, c’est logique qu’à un moment, on heurte un plafond ! », lance Jack Wade.
Épisodes de stress thermique, anomalies de températures et de précipitations sont déjà observées dans la région Mena. « La Méditerranée se réchauffe déjà 20 % plus vite que le reste du monde », souligne Elen Lemaître-Curri, économiste et directrice adjointe du CIHEAM (Centre international de hautes études agronomiques méditerranéennes) de Montpellier.
D'ajouter : « Dans un scénario haut d’émissions de gaz à effet de serre, on peut imaginer d'ici à l'année 2100 une hausse de température comprise entre 3,8 et 6,5 °C en région méditerranée »
Tempêtes, sécheresses, baisses de rendements
Autre conséquence du changement climatique : la hausse de la température de la surface de la mer pourrait déboucher l’été sur des cycles de tempêtes particulièrement fortes et destructrices. Les effets de la Niña pourraient aussi se trouver décuplés, or « un excès de sécheresse entre septembre et novembre affecte négativement les semis de céréales d’hiver, selon Jack Wade. C’est déjà le cas au Maroc et cela pourrait toucher le Pakistan et l’Afghanistan ».
Les rendements dans certains pays de la zone Mena pâtissent déjà de la situation, par exemple « en blé en Iran et en Afghanistan sur la campagne 2021/22 », note Jack Wade. Le président du Centre de recherche agricole de l'Égypte, Mohamed Soliman, décrit sur les céréales de son pays « un taux de photosynthèse perturbé, des dates de floraison plus précoces et une multiplication des pathogènes et des ravageurs, ce qui fait baisser les rendements ».
La hausse du niveau des eaux inquiète particulièrement au pays des pharaons : « On le voit dans les deltas, dans les zones côtières... Il faut s’attendre à des risques d’inondations dans le nord de l’Égypte. Cela aura un impact sur la production », poursuit Mohamed Soliman.
En Tunisie, on s'attend à ce que les années sèches soient de plus en plus fréquentes et mènent à une diminution des superficies en céréales : « À l’horizon 2100, les zones favorables aux blés et à l’orge diminueraient en moyenne de 8 à 16 % selon les scénarios climatiques », explique Rabaa Bensalah, de la Direction générale de la production agricole en Tunisie. Les rendements sont aussi prévus à la baisse quelles que soient les céréales.
Dépendance et volatilité accrues sur les marchés
Des baisses de production s'annoncent dans les pays de la région Mena, donc une hausse de leur vulnérabilité et de leur dépendance aux importations. Jack Wade prévoit aussi : « une production plus erratique de céréales, un manque de fiabilité dans la production », et donc une volatilité accrue sur les marchés.
La volatilité sera d'autant plus accrue que le changement climatique affecte aussi le reste du monde, notamment les zones productrices. « Il y a aussi un risque de grande variabilité de production et de prix dans l’hémisphère nord : il y a des potentialités positives, par exemple en Russie et au Canada, mais ce ne sera pas viable tous les ans car la protection neigeuse peut fondre, exposant les céréales », détaille l'expert météorologiste.
L'augmentation de la demande va amplifier la dépendance aux importations dans les dix ans, dopée par la hausse démographique « particulièrement vive dans le sud et l’est de la région Mena », note Elen Lemaître-Curri.
Ajoutons que le changement climatique et son impact sur la production de grains en Méditerranée jouent sur le budget des pays concernés. Abani El-Bachir, du ministère de l’agriculture du Maroc, explique ainsi les conséquences de la chute de production céréalière : « Face à la pénurie, les prix ont fortement augmenté. L’État intervient par des subventions directes sur les importations de blé tendre pour maintenir un prix stable sur le marché national ».
S'adapter pour limiter la dépendance
Comment lutter contre les impacts négatifs du changement climatique sur la production céréalière en région Mena et sur les marchés agricoles ? Jack Wade liste des solutions : « augmenter la capacité de stockage de l'eau pour tirer parti des épisodes de pluies intenses, améliorer la technologie »... Il cite une technique d'ensemencement des nuages, testée à petite échelle au Moyen-Orient avec des cristaux de sel mais très controversée car elle pourrait être dévoyée à des fins politiques.
Les pays de la zone travaillent d'ores et déjà à réduire leur dépendance en céréales importées et garantir la sécurité alimentaire de leur population. Un plan d'adaptation a ainsi été mis en place en Tunisie, basé sur des programmes de recherche et d'obtention variétale, des systèmes de production adaptés au changement climatique, la vulgarisation et l'accompagnement des agriculteurs.
Alors que secteur agricole consomme 85 % de la part annuelle hydrique apportée par le Nil, l'Égypte mène de son côté un travail de grande ampleur sur l’utilisation en l’eau. Le pays va construire 47 usines de dessalement d’ici à 2035 et prévoit dans les trois ans qui viennent de remplacer ses systèmes d’irrigation par des dispositifs modernes et économes en eau, sur 1,554 million d’hectares.
Face au défi de taille qui se pose à la région Mena et à ses partenaires commerciaux, tous les intervenants ont souligné l'importance de mettre en place des partenariats internationaux, partager les données de marché, se coordonner sur le plan politique. « Il faut changer de système, de pratiques. Et nous devons travailler ensemble pour mettre en œuvre des actions ! », exhorte ainsi Mohamed Soliman.