Les biocarburants posent plus de problèmes qu'ils n'en résouent
La plupart des espèces végétales cultivées en Europe et aux Etats-Unis pour produire du carburant "vert" risquent en réalité d'accélérer le réchauffement climatique en raison des pratiques agricoles intensives, affirme le prix Nobel de chimie Paul J. Crutzen dans une étude.
Les résultats de cette étude sont particulièrement alarmants pour les biocarburants développés à partir du colza, notamment en Europe, qui pourraient produire jusqu'à 70% de gaz à effet à serre en plus par rapport à du diesel classique.
L'étude de Crutzen invite scientifiques et exploitants agricoles à se tourner vers des espèces végétales adaptées à des méthodes de culture moins intensives pour améliorer leur viabilité environnementale.
Les biocarburants sont produits à partir de végétaux qui absorbent le dioxyde de carbone, responsable du réchauffement climatique. C'est pourquoi ils sont considérés comme une alternative, respectueuse de l'environnement, aux carburants fossiles.
Mais l'étude du Nobel néerlandais montre que les biocarburants rejettent en fait plus de gaz à effet de serre qu'ils n'en absorbent à cause des engrais utilisés dans les méthodes de culture modernes. Ils rejettent notamment de l'oxyde nitreux, qui est 300 fois plus nocif pour le climat que le dioxyde de carbone.
"L'émission d'oxyde nitreux à elle toute seule annule tous les bénéfices", explique à Reuters le co-auteur de l'étude, le professeur Keith Smith.
Ces conclusions publiées dans la revue "Atmospheric Chemistry and Physics Discussions" sont basées sur le constat que les engrais utilisés dans les exploitations agricoles émettent entre trois et cinq fois plus de gaz à effet de serre que ce l'on pensait.
PRATIQUE VAINE ?
Cette étude va probablement alimenter le débat sur les bienfaits réels pour le climat des biocarburants, dont les conséquences sur la déforestation ou l'augmentation des prix agricoles ont récemment été dénoncées.
Le Brésil et les Etats-Unis sont les deux principaux producteurs de bioéthanol, produit à partir de canne à sucre, de betterave à sucre ou de maïs tandis que l'Europe est le principal fournisseur de biodiesel développé à partir d'oléagineux.
Utiliser du biodiesel fabriqué à partir de colza produirait entre 1 et 1,7 fois plus de gaz à effet de serre que du diesel classique, estime l'étude.
Les biocarburants fabriqués à partir de sucre de canne, comme au Brésil, s'en sortent mieux, émettant entre 0,5 et 0,9 fois plus de gaz à effet de serre que l'essence classique.
Pour le maïs, principalement utilisé aux Etats-Unis, ce rapport est compris entre 0,9 et 1,5.
"Tel qu'il est utilisé pour le moment, le bioéthanol à partir de maïs semble être une pratique plutôt vaine", explique Smith.
L'étude ne prend pas en compte les conséquences négatives pour le climat induites par la consommation de carburants fossiles pour fabriquer les biocarburants, ni les conséquences cette fois positives pour l'environnement de l'utilisation de dérivés de biocarburants comme alternative au charbon pour produire de l'électricité.
"Même si quelqu'un estime que nos chiffres sont élevés (...) si vous ajoutez la quantité indiscutable d'oxide nitreux qui est formée, et l'utilisation de carburants fossiles, avec la plupart des biocarburants d'aujourd'hui, vous ne tirez aucun bénéfice", estime Smith.
Toutefois, l'étude ne condamne pas tous les biocarburants et invite les agriculteurs à choisir en priorité les cultures qui demandent peu d'engrais et des méthodes de récolte qui demandent moins d'énergie. Elle suggère notamment d'employer certaines espèces d'arbres comme le peuplier ou le saule.
Reuters