Hervé Morin du journal le Monde
Au sommet de Copenhague sur le climat, en décembre 2009, le CO2 a été au centre de toutes les attentions. Les Etats-Unis et la Chine, premiers pollueurs de la planète, sont laborieusement parvenus à un accord a minima sur la réduction des émissions de ce gaz.
Un autre gaz à effet de serre, l'ozone, mériterait sans doute de s'inviter dans les discussions entre les deux géants. Selon une étude publiée jeudi 21 janvier par la revue Nature, une part de ce polluant issu d'Asie se retrouve quelques jours plus tard au-dessus de l'ouest des Etats-Unis, au point de mettre en péril les réglementations américaines sur l'ozone.
On sait de longue date que la pollution est un phénomène mondialisé : le CO2 d'origine humaine n'est-il pas accusé de chambouler le climat de la planète ? Ne retrouve-t-on pas dans l'organisme des Inuits et des ours polaires de l'Arctique des métaux lourds et des polluants organiques persistants produits à des milliers de kilomètres, dans les pays industrialisés ? Des zones entières du Pacifique ne sont-elles pas colonisées par un océan de débris en plastique ? L'ozone n'est qu'un exemple, frappant, de ces exportations à longue distance des pollutions.
Le trou de la couche d'ozone de 1980 à 1991. La tâche rosesymbolisant le trou grossit d'année en année!!
Pour l'homme, responsable de ses fluctuations, ce gaz est décidément un casse-tête. Quand il fait défaut, dans les hautes couches de l'atmosphère, il ne joue plus son rôle protecteur vis-à-vis des rayons ultraviolets. Mais quand l'ozone est trop concentré dans la troposphère, c'est-à-dire dans cette enveloppe des dix premiers kilomètres d'atmosphère où s'est développée la vie, il se comporte à son tour comme un poison envers la faune et la flore. Les feuillages sont oxydés par cette molécule d'O3 (trois atomes d'oxygène), qui s'attaque aussi aux voies respiratoires des animaux et des humains.
Mais si l'ozone est trop rare en altitude, et trop concentré près du sol, c'est la faute de l'homme : ce sont des gaz réfrigérants et propulseurs qui sont responsables de sa dégradation en altitude. Le protocole de Montréal (1987) a certes permis de restreindre leur usage, mais il faudra encore des décennies avant que les fameux "trous" dans la couche d'ozone, autour des pôles, soient résorbés.
Pour ce qui est de l'ozone troposphérique, les choses sont mal engagées : cet ozone-là, dont la concentration a été plus que doublée au cours du XXe siècle, est un polluant dit secondaire, produit par l'action du rayonnement solaire sur des polluants "précurseurs", notamment le dioxyde d'azote émis par les échappements des véhicules, des cheminées, incinérateurs et incendies de forêt.
Des mesures indirectes ont déjà montré que la déforestation en Indonésie est ainsi responsable d'un panache d'ozone qui peut se répandre jusqu'en Afrique de l'Est. Ces déplacements ont lieu à différentes échelles : en France, les taux d'ozone troposphérique sont plus élevés dans les zones rurales, car il faut souvent plusieurs jours pour que la photochimie transforme en O3 les polluants primaires issus des zones industrialisées.
Trou de la couche d'ozone de 1981 à 1999. Regardez : en 18 ans la couche d'ozone n'a pas arrêté de mincir.
C'est donc aussi le cas entre l'Asie et les Etats-Unis, au printemps. L'origine de cet ozone a pu être retracée par des chercheurs de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) américaine, à partir de nombreuses mesures, dont certaines conduites par des avions de ligne équipés de capteurs à l'initiative du laboratoire d'aérologie de Toulouse (CNRS). "Cela apporte une des preuves les plus évidentes de ces transports à ce jour", note Kathy Law (universités Paris-VI et de Versailles, CNRS).
Il faut encore vérifier que cet ozone d'importation, mesuré à quelques kilomètres d'altitude, finit bien par retomber au sol, où son impact sur l'agriculture et la santé humaine et animale se fait sentir. L'enjeu est important : en Europe, par exemple, une étude de l'Agence européenne de l'environnement estimait, en 2007, que la pollution à l'ozone était à l'origine de 21 400 décès prématurés par an. Côté agriculture, des études ont estimé, en 2000, entre 14 et 26 milliards de dollars (de 15,1 à 28,1 milliards d'euros de l'époque) le coût des pertes de rendement au niveau mondial.
Dans les pays développés, les pics de pollution à l'ozone ont eu tendance à être moins sévères ces dernières années, grâce à la mise en place de réglementations sur les polluants précurseurs. La pollution chronique a cependant augmenté régulièrement. Au cours des prochaines décennies, la hausse la plus sensible concernera l'Afrique et l'Asie.
Dans la mesure où l'O3, contrairement au CO2, ne survit que quelques semaines dans l'atmosphère, "il y aurait un double bénéfice, immédiat, à contrôler les précurseurs de l'ozone, avance Kathy Law : lutter contre ses effets, mais aussi contre le réchauffement climatique". Un des protocoles de 1988 de la convention sur la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance - à l'origine destinée à lutter contre les pluies acides - vise précisément à réduire les oxydes d'azote. Les Etats-Unis en sont signataires. Reste à convaincre la Chine d'y adhérer.