Les forêts précieuses de Birmanie menacées par l'abattage
Une terre brûlée jonchée de branches, c'est tout ce qu'il reste de l'épaisse forêt aux arbres majestueux qui se dressait dans cette région du centre de la Birmanie lorsque Wa Tote, 72 ans, n'était qu'une petite fille.
«Nous n'osions y entrer qu'en groupe. La forêt était dense, avec de nombreux animaux sauvages. Maintenant, c'est impossible de trouver l'ombre d'un arbre pour se protéger lorsqu'on est fatigué», raconte-t-elle à l'AFP.
Les tigres aussi ne sont qu'un lointain souvenir dans ces montagnes de Bago dont de larges bandes ont été scalpées par l'exploitation forestière ces dernières années.
Les branches et végétaux laissés derrière y sont brûlés pour faire place nette. Les habitants comptent sur un projet de reboisement de la région avec du teck. Mais même si cela se fait, cet arbre tropical précieux mettra plusieurs décennies à atteindre la maturité.
L'exploitation forestière en Birmanie a explosé sous l'ancienne junte, les généraux s'intéressant moins à l'environnement qu'à l'argent généré par l'appétit insatiable du marché international pour les bois rares.
Le pays a ainsi perdu entre 1990 et 2010 près de 20% de ce qui reste l'une des plus importantes forêts tropicales d'Asie, selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO).
La corruption et une protection médiocre ont suscité une exploitation illégale effrénée enrichissant à la fois les proches de l'ancienne junte, des militaires et des groupes rebelles, estiment les experts.
Le gouvernement quasi civil qui a multiplié les réformes depuis la dissolution de la junte en 2011 a décidé de s'attaquer au problème, interdisant depuis le 1er avril les exportations de bois brut.
«Notre interdiction sera très efficace. La coupe, la distribution et la finition des produits du bois seront faites localement, pour que nous puissions également créer des emplois», souligne Tin Tun, haut responsable du ministère de l'Environnement et des Forêts.
Le Fonds mondial pour la nature (WWF) a salué cette décision, notant qu'elle s'accompagnait d'une baisse de 60% des quotas de coupe pour le teck et de 50% pour les autres bois durs pour l'année fiscale en cours, comparé à 2012-2013.
«Mais étant donné l'ampleur de l'exploitation illégale et des exportations en Birmanie, cela prendra du temps pour voir à quel point l'interdiction sera efficace», commente Michelle Owen, responsable de WWF dans le pays.
- «Corruption généralisée» -
Dans le nord montagneux du pays, près de la frontière chinoise, les entreprises forestières s'enfoncent de plus en plus profondément dans la forêt vierge.
«Il faut arrêter l'abattage maintenant», insiste Frank Momberg, de l'ONG Flora & Fauna International (FFI), qui lutte contre la disparition d'une espèce tout juste découverte de singe au nez retroussé, dont quelque 300 individus vivraient dans les forêts de l'Etat Kachin.
L'abattage mécanique permet même de raser des pentes raides, où la disparition des arbres augmente les risques de glissements de terrain et met en danger un environnement qui accueille d'autres animaux sauvages comme le panda roux ou le takin, aussi connu comme la chèvre-antilope.
«Un écosystème entier est en train d'être détruit par ces abattages extrêmes», s'insurge Momberg.
Selon lui, les bois rares récoltés alimentent l'industrie du meuble à Tengchong, dans la province chinoise du Yunnan, l'érable pour des tables sculptée et le taiwania, conifère protégé, pour des «cercueil de luxe».
Selon l'ONG Agence d'investigation environnementale (EIA), la Chine a enregistré l'importation de 10 millions de mètres cube de bois de Birmanie entre 2000 et 2012, soit environ deux fois plus que le chiffre officiel du total des exportations birmanes sur la période (6,4 millions).
Quelque 84% du bois exporté vers la Chine a été transporté par la terre, malgré le fait que les exportations étaient de longue date seulement autorisées depuis les ports de Rangoun et de Dawei, le rendant «au mieux légalement douteux, au pire carrément illégal», commente l'ONG.
Dans un récent rapport basé sur des documents birmans et des chiffres du commerce international, l'EIA conclut que la Birmanie a exporté entre 2000 et 2014 jusqu'à 3,5 fois plus de bois que les volumes officiellement enregistrés.
«Un tel écart indique une criminalité et une corruption généralisées dans le secteur du bois birman», souligne le rapport, estimant que cette industrie fantôme rapportait des milliards de dollars.
Malgré la récente interdiction des exportations, des camions chargés de troncs ont été observés près du port de Rangoun après le 1er avril.
Et 60 tonnes de bois illégal ont été retrouvées dans des véhicules maquillés pour donner l'impression de participer à une campagne anti-abattage.