Un large couteau entre les dents, le jeune homme embrasse le tronc, plaque ses pieds nus contre l’écorce et grimpe en quelques bonds jusqu’au sommet du palmier, vingt mètres plus haut. Le «subidor» (grimpeur) tranche la tige du régime de baies puis glisse jusqu’au sol, son butin à la main.
Perdu au bout d’une piste de terre, au cœur de l’Etat brésilien de l’Acre, le hameau de Senibu parie sur la cueillette de l’açaï pour éviter la déforestation de l’Amazonie. Le palmier qui fournit ce fruit violet foncé, énergisant et antioxydant, pousse naturellement dans la forêt millénaire. Des écologistes, dont l'organisation WWF-Brésil, le valorisent pour dissuader les petits agriculteurs de déboiser.
«Avant, on brûlait les arbres pour créer des parcelles et semer du maïs ou des haricots», explique Doraci Pereira de Lima, un agriculteur, en montrant des souches calcinées au milieu d’un champ de manioc. «Depuis que l’açaï se vend à bon prix, on ne déboise plus. La forêt est devenue une source de revenu», poursuit-il.
Avec 4,2 millions de km2 de forêt amazonienne, le Brésil abrite 67% de cette immense réserve d’eau douce et de biodiversité, selon le ministère de l’Environnement. Au cours de la seule année 2013, une surface d’arbres équivalente au département du Gard (5.800 km2), dans le sud-est de la France, a disparu du territoire brésilien, d’après l’INPE (Institut national de recherches spatiales).
Dans la seule région de l’Acre, 12.000 km2 d’arbres ont disparu entre 1988 et 2011 – plus que la superficie du Qatar. Au cœur de ce qui est officiellement l’Amazonie se succèdent des collines aussi rases que des terrains de golf, maculées des taches blanches du bétail. Le trafic de bois et l’agriculture s'en partagent la responsabilité.
«Pour préserver la forêt, il faut sensibiliser les habitants, mais aussi leur proposer des alternatives viables à l’élevage ou au manioc. C’est la survie de leur famille qui est en jeu!», explique à l'AFP Andrea Alechandre, chercheuse en ingénierie forestière à Rio Branco.
L’IDH (Indice de développement humain) de l’Acre est l’un des plus bas du Brésil.
Depuis que le sorbet d’açaï, ultra-énergisant, est devenu à la mode dans les villes d’Amazonie, mais aussi sur les plages de Copacabana ou d’Ipanema à Rio de Janeiro, les agriculteurs en retirent un bien meilleur prix. «Nous le vendons 5 réais le litre (1,7 euro), au lieu de 2 réais il y a quelques années», note Doraci Pereira de Lima.
Sa production reste pourtant très artisanale: l’agriculteur égrène les grappes à la main, transporte les fruits dans un baluchon puis les confie à un cousin, propriétaire d’une broyeuse rudimentaire. La machine avale les baies dans un bruit de roulement à billes et recrache un jus épais, couleur de mûre et dont le goût approche celui du cacao amer.
Le WWF-Brésil s’est fixé comme objectif de «sauver un million d’arbres» entre 2009 et 2016. Renforcer la filière de l’açaï est l’une des stratégies. «Mais le défi est gigantesque: les villages ne sont parfois accessibles qu’en pirogue et les fruits pourrissent au bout de 48 heures», souligne Kaline Rossi, responsable de l’opération au sein du WWF-Brésil.
Malgré les obstacles, les forces s’organisent. Dans une maison de bois sur pilotis, la chercheuse Andrea Alechandre entre dans son ordinateur les coordonnées GPS des palmiers que la famille Pereira a repérés. Elle leur montre également l’invention d’un Géo Trouvetou: un appareil, équipé d’une lame, qui glisse jusqu’au sommet des arbres et pourrait remplacer l’homme dans la périlleuse cueillette des grappes de baies.
«Nous ne savons pas dans quelle proportion augmente la production, faute de statistiques, mais ce qui est sûr, c’est que l’intérêt va croissant. Plusieurs usines de pulpe de fruit ont ouvert dans la région et achètent de l’açaï», assure la chercheuse.