Suite aux grandes manifestations de scientifiques et d'opérations de désobéissance civile il y a deux semaines, France Info est allé à la rencontre d'une dizaine de chercheurs et chercheuses expliquent les raisons de leur colère et de leur engagement.
Les policiers ont eu du mal à masquer leur surprise. Ce 13 mars 2020, trois scientifiques sont en garde à vue au commissariat du 12e arrondissement de Paris. "Ils nous ont dit qu'il n'y avait jamais eu autant de diplômes dans cette cellule", se souvient Milan Bouchet-Valat, sociologue. Avec Jérôme Guilet, astrophysicien, et Kévin Jean, épidémiologiste, il s'est fait interpeller après avoir manifesté devant l'Elysée pour dénoncer, en sa qualité de scientifique, le maigre bilan climatique d'Emmanuel Macron. Un engagement rare pour des "premiers de la classe", plus habitués à la discrétion de leur laboratoire qu'à la détention.
Avec cette manifestation, organisée par l'ONG ANV-COP21, les trois trentenaires mettent en œuvre l'appel à la "rébellion" lancé par 1 000 scientifiques dans une tribune un mois auparavant. L'opération, bien que rapidement éclipsée par la pandémie de Covid-19, marque ainsi la première manifestation française d'une lame de fond qui agite aujourd'hui la communauté scientifique internationale.
"Les scientifiques sont ignorés"
Alors que les émissions de gaz à effet de serre, moteur du réchauffement climatique, continuent de grimper et les espèces animales, de disparaître, de plus en plus de chercheurs ne veulent plus se contenter de chroniquer, rapport après rapport, une catastrophe écologique annoncée. Regroupés sous le label "Scientist rebellion", ils participent activement aux actions des ONG écologiques, quand ils ne les organisent pas eux-mêmes : invasion du tarmac de Roissy en octobre 2020 pour protester contre l'extension (annulée depuis) de l'aéroport, occupation du Muséum d'histoire naturelle et blocage de la banque JP Morgan Chase de Los Angeles, en Californie, en avril 2022. Depuis la mi-octobre, de nouvelles actions sont organisées un peu partout dans le monde, à Toulouse, Paris et bientôt en Allemagne, pour remettre la pression à quelques semaines de la COP27 qui se tiendra en Egypte et réclamer des mesures à la hauteur de l'urgence.
Comment en est-on arrivé là ? En 2022, une enquête sociologique menée dans les laboratoires français(PDF) révélait que 90% des 6 000 répondants estimaient que "si les choses continuent au rythme actuel, nous allons bientôt vivre une catastrophe écologique majeure".L'inaction des responsables politiques est la première raison avancée par la quinzaine de scientifiques que nous avons interrogés. "Je suis de plus en plus désespéré par l'aggravation des catastrophes climatiques et l'inaction des dirigeants mondiaux", lâche Peter Kalmus, le climatologue de 48 ans qui s'est enchaîné à la porte de la banque JPMorgan Chase, soutien financier des projets d'énergie fossile (charbon, pétrole, gaz).
"Il est très clair que pour sauver ce qui peut l'être, il faut en finir avec l'industrie des énergies fossiles (...). Mais les scientifiques sont ignorés, les dirigeants mondiaux continuent de travailler au développement de cette industrie."
Peter Kalmus, climatologue à la Nasa
L'écologue Wolfgang Cramer, qui a signé le manifeste de Scientist rebellion(en anglais) sans aller jusqu'à participer à une action, comprend ses collègues : "Ecrire des rapports, parler raisonnablement et gentiment, ça montre ses limites. Ce modèle qui consiste à fournir de l'information pour des décisions raisonnées marche un peu, mais pas assez". Le chercheur de 65 ans est bien placé pour le savoir : il a participé, depuis 1996, à la rédaction de sept rapports du Giec, le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat.
"C'est non violent et symbolique"
Retrouver du sens et être en accord avec le message scientifique est un autre motif d'engagement. "Continuer à vivre et travailler de la même façon, cela peut donner l'impression que la situation n'est pas aussi grave qu'on le dit. C'est important d'avoir des actions en accord avec ce que l'on dit", estime Jérôme Guilet, qui juge les actions de désobéissance civile "proportionnées" : "C'est non violent et symbolique par rapport à l'enjeu qu'est la survie de l'humanité." L'océanographe Xavier Capet, qui a participé en 2019 au blocage de la tour Total à La Défense, considère enfin que sa communauté a "une responsabilité vis-à-vis du mouvement climat". Pour ce chercheur de 49 ans, par ailleurs engagé dans la réduction de l'empreinte carbone de son laboratoire, il faut accompagner "cette partie de la population qui a entendu notre alerte".
Pendant les périodes glacières il y avait environ 200 ppm (partie par million) de CO2 dans l'air et les gros nuages lourds couraient en masse dans le ciel.
Depuis la dernière période glacière (~10 000 ans) et jusqu'à l'ère industrielle (1750), le taux de CO2 était inférieur à 280 ppm et les nuages étaient encore nombreux et lourds
Aujourd'hui, le taux est de 410 ppm et on commence à avoir des problèmes avec les nuages et les sécheresses et inondations qu'ils causent par leur présence ou absence.
Selon une étude publiée dans "Nature Geoscience", on devrait atteindre facilement 560 ppm en 2050 et 1200 ppm en fin de siècle (plutôt bien avant)
Les choses s'accélérant comme d'habitude, déjà à 560, les nuages se désagrègeront et se fragmenteront.
A 1200, il n'y aura plus de nuage, donc plus de cycle d'eau et plus de vie possible.
Le texte, adopté en 1994, est jugé par plusieurs instances, notamment le Haut conseil pour le climat, comme incompatible avec les objectifs de l’accord de Paris.
Pour ce principal motif, la France va se retirer du Traité sur la charte de l’énergie (TCE), a annoncé Emmanuel Macron, ce vendredi, à l’issue d’un sommet du Conseil européen, à Bruxelles, relate France info. « La France a décidé de se retirer du traité sur la charte de l’énergie, ce qui était un point important demandé par beaucoup », a déclaré le chef d’État en marge d’un sommet européen à Bruxelles.
Le Traité sur la Charte de l’Énergie (TCE) est un accord international de commerce et d’investissement visant à promouvoir la coopération dans le secteur de l’énergie. Il a été signé par la France en 1994 puis ratifié en 1999. Ce traité est censé s’appliquer encore vingt ans après le retrait d’un pays signataire.
Jugé incompatible avec l’accord de Paris
L’UE a obtenu en juin que soit réformé le méconnu TCE, trop protecteur des énergies fossiles. Mais le compromis est jugé insuffisant par les ONG, qui demandent aux Européens de s’en retirer. Dans un avis rendu mercredi soir, le Haut conseil pour le climat (HCC) leur a donné raison : « Aucun des cas de figure possibles à l’issue du quinzième cycle de négociation (…) ne permettra aux parties signataires de s’engager sur une trajectoire de décarbonation de leurs secteurs énergétiques respectifs à l’horizon 2030 et à la hauteur de l’ambition de l’Accord de Paris », a affirmé cette instance consultative indépendante française.
Signé au sortir de la Guerre froide, le TCE vise à offrir des garanties aux investisseurs dans les pays d’Europe de l’Est et de l’ex-URSS. Réunissant l’UE et 52 pays, il permet à des entreprises de réclamer, devant un tribunal d’arbitrage privé, des dédommagements à un Etat dont les décisions affectent la rentabilité de leurs investissements, même lorsqu’il s’agit de politiques pro-climat. Cas emblématique : après l’adoption d’une loi néerlandaise bannissant le charbon d’ici 2030, l’énergéticien allemand RWE réclame 1,4 milliard d’euros à La Haye pour compenser ses pertes sur une centrale thermique.
Avant la France, les Pays-Bas ont déjà annoncé mercredi qu’ils quitteraient le traité, tout comme l’Espagne et la Pologne précédemment. La Russie s’est déjà retirée du traité en 2009, suivie de l’Italie en 2015.