Agriculture : la terre monopolisée par les sociétés privées

Publié le par Gerome

La mainmise de sociétés privées d'exploitation agricole sur de vastes étendues de terres s'est accélérée partout dans le monde depuis la crise de 2008. La surface des terres vendues depuis dix ans suffirait à nourrir un milliard de personnes.

 

terre-agricole.jpg

 

Il y a dix ans, quand on traversait la Province de Santiago del Estero, dans le nord-est de l'Argentine, on pouvait voir des kilomètres et des kilomètres de plaines arides, recouvertes d'arbustes, de chèvres et de quelques enfants au bord de la route qui vendaient des tortues. 

Quelques années plus tard, l'endroit sentait le brûlé, et au milieu des nuages de fumée on ne voyait plus qu'une végétation carbonisée. 
Les nouveaux propriétaires terriens, bien décidés à planter du soja transgénique plus résistant à l'aridité avaient pratiqué la politique de la terre brûlée. 

L'expulsion des petits paysans, qui vivent depuis des décennies sur ces terres sans titre de propriété, par les grands investisseurs du commerce agricole n'est pas l'apanage exclusif de Santiago del Estera, mais bien un phénomène mondial. 

Ces dix dernières années, 203 millions d'hectares, soit une surface capable de nourrir un milliard de personnes (exactement le nombre de 
personnes souffrant de la faim dans le monde) ont été mis en vente. Plus de la moitié de ces transactions foncières, soit 106 millions d'hectares, ont été réalisées par des investisseurs étrangers dans des pays en voie de développement où sévissent pourtant de graves problèmes d'insécurité alimentaire, dénonce l'ONG Oxfam. "Deux tiers de ces investissements ont pour vocation l'exportation, et dans la plupart des cas il s'agira de cultures destinées à la production de biocarburants" ajoute Oxfam.

L'ONG n'est pas hostile aux investissements dans le domaine agricole, mais elle demande à ce que soient respectés les droits des paysans qui vivent sur ces terres depuis des générations, sans forcément détenir des titres de propriété. "Avant de donner leur feu vert, les pays doivent se demander si cet investissement vient aider ou porter préjudice aux droits à la terre des populations locales les plus fragiles et aux ressources naturelles," explique Oxfam, qui demande également que ces grands projets créent des emplois de qualité et respectent l'environnement. "Cet achat massif de terres est sans précédent et il n'est soumis à aucun contrôle juridique qui pourrait permettre d'éviter cette monopolisation des terres," souligne l'ONG. 

Des régulations insuffisantes

Ces dernières années, plusieurs pays ont essayé d'introduire des contrôles sur les transactions foncières à grande échelle afin d'éviter une mainmise étrangère sur certaines ressources. C'est le cas du Brésil, de l'Argentine, du Mozambique, du Laos, de la Tanzanie, de l'Indonésie, de la Papouasie-Nouvelle-Guinée et du Cambodge.

En Argentine par exemple, le gouvernement vient de diffuser une partie des résultats d'une enquête en cours sur la nationalité des grands propriétaires fonciers : 2,7 % des 278 millions d'hectares recensés, soit 7,5 millions d'hectares, appartiennent à des étrangers. Or, dans ce pays, une loi de 2011 interdit que les entreprises ou les citoyens étrangers détiennent plus de 20 % du territoire d'une municipalité, d'une province ou du pays entier, mais cette loi ne fixe pas de limites à la concentration foncière pour les Argentins.

Même dans les zones soumises à une législation précise, le problème est loin d'être résolu. "Les personnes les plus pauvres continuent à être expulsées de leurs terres, souvent par la violence, sans avoir été consultées ni avoir reçu de compensations. De nombreuses personnes doivent quitter leur foyer et se retrouvent dans la misère sans avoir accès à cette terre dont ils dépendent pour manger et gagner leur vie. 
Dans les pays pauvres, 1 700 km2 sont vendus à des investisseurs étrangers tous les six jours.

D'après Oxfam, les acquisitions de terres ont été multipliées par trois pendant la crise alimentaire de 2008 et 2009, et c'est à partir de ce moment-là que la terre a commencé à être considérée comme un placement de choix par les investisseurs. Depuis, le cours des denrées alimentaires n'a cessé de flamber.

Des prêts de la Banque mondiale pour de l'huile de palme

Au Libéria, en cinq ans, 30 % de la superficie du pays a été acheté par des investisseurs. Au Honduras, le conflit pour la terre dans la région de la vallée de l'Aguán a déjà fait 60 morts.

Dans cette région, en 2009, la Société financière internationale, une institution de la Banque mondiale chargée de financer le secteur privé, avait accordé un prêt de 23 millions d'euros à Dinant, une société productrice d'huile de palme. Face aux accusations de violations des droits de l'homme et aux expulsions violentes perpétrées par Dinant, le médiateur de la Banque mondiale a été saisi en août 2012 afin de mener une enquête sur le sujet.

Ce n'est pas la première fois que la Banque Mondiale est accusée de financer des projets contraires aux droits des peuples. Elle fait l'objet de trois autres plaintes en Amérique latine, de douze dans la région Asie Pacifique et de cinq en Afrique. La Banque mondiale est un acteur important du secteur agricole. Depuis 2002, le montant de ses prêts au secteur agricole est passé de 1,9 milliard d'euros en 2002, à 4,6 voire 6,1 milliards en 2012.

Certains de ces prêts ont été accordés à de grands investisseurs agricoles mais aussi à des initiatives en faveur de la réforme agraire, et notamment des projets validés par Oxfam au Mexique, en Indonésie ou au Rwanda.

 

 


Publié dans Nature

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article