Après le bisphénol A, les phtalates dans le collimateur
Ces substances chimiques utilisées dans le plastique présentent des risques pour la santé. Le Danemark vient d'en interdire quatre, la France pourrait bientôt suivre.
Vous ignorez probablement leur existence et pourtant, ils sont partout. Dans les jouets, les cosmétiques, les sols en plastique, les peintures, les tubes médicaux, les emballages alimentaires, les fournitures scolaires, les sextoys... Les phtalates, ces substances chimiques destinées à assouplir les plastiques, font leur retour sur la scène politique.
Leurs noms sont barbares, leurs formules chimiques variables et la nocivité de certains sur la santé humaine probable. Car ces substances peuvent migrer dans l'organisme et venir perturber le système hormonal, provoquant des troubles de la fertilité, voire des cancers.
L'Europe a d'ailleurs interdit six d'entre eux dans les articles de puériculture, huit dans les cosmétiques. Fin août, la ministre danoise de l'Environnement, Ida Auken, a créé la surprise en décidant d'interdire quatre phtalates (DEHP, DIBP, DBP et BBP) dès cet automne dans les produits de consommation susceptibles d'entrer en contact avec la peau ou les muqueuses.
Perturbations du système hormonal
Ces quatre substances sont considérées comme cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction. Comme le bisphénol A (BPA), autre substance chimique destinée, elle, à durcir les plastiques, ces phtalates font partie de la grande famille des « perturbateurs endocriniens ».
Selon le Réseau environnement santé, qui milite pour leur interdiction :
Les troubles de la reproduction sont les plus fréquents, mais la liste est longue des effets possibles des phtalates : diabète, obésité, allergies, troubles respiratoires, risque de fausse couche accru, réactions inflammatoires...
Certes, ce n'est pas parce que l'on a été intubé avec un tuyau qui en contient, que l'on porte un rouge à lèvres ou que l'on en respire dans sa maison que l'on va développer un de ces troubles. Mais - et c'est la grande spécificité des perturbateurs endocriniens - , ce n'est pas « la dose qui fait le poison », disent les scientifiques. Mais plutôt l'exposition multiple et permanente à ces substances qui fait courir un risque à long terme, ce qu'ils appellent « l'effet cocktail ».
La France, qui a donné au principe de précaution une valeur constitutionnelle, a déjà imaginé les interdire. Ce fut la proposition de loi Lachaud (député du Nouveau Centre), adoptée à l'Assemblée nationale en mai 2011 (mais qui n'est pas allée au Sénat car trop vaste). Parmi les 167 votants « pour » du groupe socialiste, on retiendra les noms de Jean-Marc Ayrault, Delphine Batho, Marisol Touraine...
Des alternatives existent
Le député socialiste Gérard Bapt, déjà auteur de la proposition de loi sur l'interdiction du bisphénol A dans les biberons puis les emballages alimentaires, va bientôt déposer une proposition de loi visant à interdire les quatre mêmes phtalates que le Danemark, « pays confronté à une explosion des malformations génitales à la naissance. Celles-ci augmentent aussi en France. »
Optimiste, le député a constaté un changement culturel chez les politiques français :
Désormais, il compte bien profiter de cette sensibilité française pour revenir à la charge :
« Délit de sale gueule »
Du côté de l'industrie, la réaction est très vive. Jean Pelin, directeur général de l'Union des industries chimiques (UIC), estime que les phtalates sont victimes d'un « délit de sale gueule ».
Il rappelle que l'Europe s'est dotée depuis 2007 d'une réglementation sur les substances chimiques, Reach (pour « Registration, evaluation and autorisation of chemicals »). Les quatre phtalates interdits par le Danemark sont passés par les filets de cette réglementation :
Le représentant de cette prospère industrie, qui pèse 90 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel, tient à son image :
Pour Yannick Vicaire, en charge du dossier au Réseau environnement santé :
Son collègue toxicologue André Cicolella note qu'il y a une « incohérence » à interdire des phtalates dans les jouets mais à intuber les prématurés avec, et qu'une étude a prouvé le rôle des phtalates dans la féminisation du jeune garçon. De plus, on manque de recherche sur les effets cancérigènes des perturbateurs endocriniens :
L'industrie reconnaît que la multi-exposition environnementale rend difficile l'identification de l'origine de ces maladies, mais Jean Pelin assure :
L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation (Anses) doit rendre l'an prochain un avis sur les perturbateurs endocriniens. L'évaluation des risques par les experts saura-t-elle s'extraire des pressions de l'industrie ?