Charbon qui rit, gaz qui pleure: la nouvelle donne des centrales électriques
Conséquence de l'exploitation du gaz de schiste aux Etats-Unis et de l'effondrement des cours du CO2, le charbon supplante de plus en plus le gaz dans la production d'électricité en Europe, y compris en France, au détriment de la lutte contre le réchauffement climatique.
Selon le "bilan électrique" de l'année 2012 publié mardi par le gestionnaire de réseau RTE, la production française d'électricité à base de charbon a bondi de 35% l'an dernier, à 18,1 térawattheures, alors que celle des centrales à gaz a chuté de 23,7% à 23,7 TWh.
A cause de ce recours accru au charbon, la plus polluante des énergies fossiles, et de la vague de froid de février 2012, qui a sollicité fortement les centrales thermiques tous combustibles confondus, les émissions de CO2 du parc électrique français ont grimpé de 7,3% l'an dernier, à 29,5 millions de tonnes.
Même si le poids total du charbon dans le bouquet énergétique national reste marginal (environ 3% de la production électrique totale, contre 75% pour le nucléaire et 16% pour les renouvelables), cela traduit un retour en grâce de cette énergie un peu partout en Europe, dont le coupable, paradoxalement, n'est autre que le gaz de schiste américain.
En effet, le charbon est de moins en moins utilisé aux Etats-Unis pour produire de l'électricité à cause de l'extraction en masse du gaz de schiste, qui y a fait chuter les cours du gaz naturel. Conséquence: les Etats-Unis exportent d'importants excédents de charbon bon marché sur le marché européen, où il concurrence le gaz, beaucoup plus cher qu'outre-Atlantique.
"Il y a un ripage (transfert) des consommations de gaz et de fioul vers le charbon", lié au fait que "les Etats-Unis ont basculé vers le gaz, ce qui a reporté des quantités de charbon vers l'Europe", a souligné mardi le président de RTE Dominique Maillard.
La dégringolade du prix de la tonne de CO2 en Europe, descendue pour la première fois lundi sous les 5 euros, contre 35 en 2008, a amplifié ce mouvement.
"Le niveau actuel du prix du carbone ne permet pas du tout aux opérateurs électriques de rentabiliser à court terme leurs investissements dans des centrales à gaz, et à plus long terme de possibles investissements dans des technologies plus sobres en carbone", déplore Emilie Alberola, chef du pôle marché du carbone et énergie à CDC Climat.
Du coup, les énergéticiens européens, qui investissaient à tour de bras dans les centrales à gaz depuis plusieurs années, commencent à changer leur fusil d'épaule.
EON France a ainsi abandonné fin 2012 un projet de centrale à gaz à Hornaing (Nord), et l'opérateur alternatif Direct Energie a renoncé en octobre à racheter les projets de centrales à gaz de l'ex-Poweo.
L'énergéticien français GDF Suez, qui a cessé d'exploiter dix centrales au gaz depuis dix ans, s'apprêterait quant à lui à en fermer cinq autres aux Pays-Bas et en Hongrie, pour rationaliser son parc de production thermique.
Cette situation pourrait réduire à terme les marges de sécurité du système électrique français. Car les centrales à gaz servent notamment à couvrir la demande d'électricité en période de pointe, en complément du nucléaire et des énergies renouvelables.
Or, parallèlement, une partie des centrales au charbon françaises sont condamnées à fermer d'ici quelques années, à cause du durcissement programmé des normes environnementales et du régime des quotas de CO2. EON France veut ainsi arrêter cinq tranches au charbon issues de la SNET (ex-Charbonnages de France).
C'est pourquoi, pour encourager la construction de centrales d'appoint, le gouvernement va instaurer un système qui rémunérera à partir de 2016 les opérateurs qui se dotent de nouvelles capacités de pointe, même s'ils ne s'en servent pas ou rarement.