Dans 18 mois la pêche au thon rouge sera suspendu!
Pour le Comité national des pêches (CNP) l'interdiction du commerce international du thon rouge (sous condition d'un sursis de 18 mois permettant de garantir un soutien européen aux pêcheurs) annoncée ce mercredi par le gouvernement français apparaît comme "une caution écologique du gouvernement face aux environnementalistes." Son président, Pierre-Georges Dachicourt, l'a rappelé, ajoutant: "Il n'y a pas de reconversion possible pour les thoniers. On veut criminaliser la pêche!"
Mourad Kahoul, président du Syndicat des thoniers méditerranéens, cinq générations de pêcheurs derrière lui, ne dit pas autre chose: "C'est de l'acharnement, on essaie de nous tuer pour faire plaisir à des ONG irresponsables". Refusant de se prononcer sur un éventuel blocage des ports avant que les pêcheurs se soient concertés, il réclame à Nicolas Sarkozy une réunion d'urgence, concluant qu'il "est prouvé que la ressource n'est pas menacée. (...) On a donné un os à ronger aux écologistes".
Des écologistes plutôt satisfaits.
Pour la fédération France nature environnement (FNE), il s'agit d'une "position de bon sens face à une situation déplorable". De son côté, Greenpeace dit s'interroger sur ce délai de 18 mois supposé permettre de nouvelles expertises scientifiques sur les stocks de thons: "C'est plier devant les pêcheurs en affirmant vouloir sauver l'espèce, mais plus tard!"
Audience sous tension à Marseille
Sur le Vieux-Port de Marseille, quai des Belges, un espace qui appartient à la prud'homie des pêches depuis Gaston Deferre, la fièvre n'est pas près de retomber. Vendredi 5 février, la FNE va intenter devant le tribunal correctionnel de Marseille une action en justice contre des pêcheurs de thon rouge. Motif: pêche illégale, prises "sous taille" (inférieures à la taille autorisée) -qui plus est au moyen d'engins prohibés. Même si elle affirme n'être en guerre "que contre les braconniers de toutes nationalités", dans le contexte actuel, l'affaire risque de faire des vagues.
Dans un communiqué publié peu avant l'annonce de la décision gouvernementale, Christian Garnier, vice-président de FNE, enfonce le clou: "La recherche d'un profit personnel à court terme, la démagogie de quelques-uns, et les attitudes égoïstes de nombreux Etats sont responsables d'une situation de non-droit ou de gestion incohérente, qui règne trop souvent en matière de ressources marines. Faute d'avoir su trouver une autre voie intelligente, il ne reste plus qu'à demander d'urgence l'inscription du thon rouge à l'Annexe 1 de la Cites (1), c'est-à-dire la fermeture du commerce international avant l'effondrement complet de l'espèce."
Oui mais...
Selon les écologistes de l'association Robin des bois, la décision du gouvernement ne pourrait finalement être qu'un coup d'épée dans l'eau: "En conformité avec les règlements intérieurs de la Cites, le Japon a l'intention d'émettre une réserve à une éventuelle décision d'inscrire le thon rouge à l'annexe 1 interdisant le commerce international, fait valoir l'association. Il suffira que quelques pays pêcheurs comme la Libye fassent de même pour que cette inscription soit remise en cause."
Robin des Bois préconise l'inscription à l'Annexe 2 qui a beaucoup plus de chances d'être acceptée sans réserve par les Etats membres. "Vouloir à toute force imposer l'annexe 1 revient à ruiner les efforts de concertation de toutes les parties et à détourner la gouvernance collégiale propre au Grenelle de l'Environnement et au Grenelle de la Mer", fait valoir l'association.
Tout le monde n'est pas d'accord. Une éventuelle inscription à cette Annexe 2 (qui encadre le commerce international sans l'interdire), un temps défendue par le ministre de la Pêche, Bruno Le Maire, serait un leurre qui "condamnerait le thon rouge", estiment WWF, Bloom Association et la Fondation Nicolas Hulot. Selon ces ONG, ce serait même "un signal politique extrêmement négatif".
Annexe 1 ou Annexe 2, quel que soit l'aboutissement de la négociation, elle doit conduire à une réduction notable de l'effort de pêche. Pour Denez L'Hostis, pilote de la mission mer de la FNE, "contrairement à ce qui est souvent affirmé, il ne s'agit pas d'arrêter toute forme de pêche, mais de réduire considérablement la pression durant quelque temps, et surtout de mettre un terme au trafic quasi mafieux de thons immatures en direction des cages d'engraissement, situées notamment en Libye ou à Malte. En aucun cas, le commerce du thon pêché et vendu au sein de l'Union européenne n'est menacé."
Il en faudra sans doute davantage pour convaincre les 215 thoniers français et les 3000 personnes de la filière.