De Varsovie 2013 à Paris 2015, sept cent trente jours pour sauver le climat
Chaque conférence sur le climat jette une lumière crue sur les antagonismes énergétiques posés sur la table des négociations. Celle de Varsovie, close il y a peu, a même «sublimé» ces tensions, la capitale polonaise hébergeant à la même période un sommet international sur le charbon et mettant en scène ces contradictions, en une belle unité de lieu, de temps et d’action !
Ne galvaudons pas Varsovie 2013 qui aura eu ce mérite de révéler spectaculairement que la lutte contre le changement climatique se joue face à une profusion d’énergies fossiles : le sous-sol recèle des centaines d’années de charbon et de gaz et de quoi voir venir le siècle prochain pour le pétrole. Contrairement aux craintes nées des chocs des années 70, ce n’est pas un épuisement des hydrocarbures qui nous contraint à changer de modèle. Cette abondance de carbone complique même singulièrement la donne. Comme la pénurie d’énergie ne menace plus, chacun peut considérer qu’il est… urgent d’attendre (le retour de la croissance dans le Nord, l’accès de tous aux richesses essentielles dans le Sud) pour prévenir les dérèglements climatiques.
Ce serait une erreur majeure, car la croissance mondiale, tirée par les économies émergentes (Chine et Inde aux premiers rangs) est largement «assouvie» par des centrales au charbon polluantes, qui dégagent déjà 44% du gaz carbonique émis sur la planète (et pourraient représenter près de 60% de l’électricité produite en 2035). L’Agence internationale de l’énergie (AIE) prédit que, en alimentant cette addiction au carbone, le réchauffement climatique avoisinerait les 4 °C en 2100, bien au-delà des 2 °C au-delà desquels nous plongerions dans l’inconnu.
L’Europe en crise n’est pas hors de ces tensions et n’échappe pas à la tentation du court terme. Il est vrai que les raisons de modifier le cap ou le rythme de la lutte ne manquent pas : l’absence de politique énergétique européenne, chaque Etat membre jouant sa partition, perturbe gravement les marchés électriques et gaziers (tandis que celui du CO2 délivre des tonnes presque «gratuites»), alors que dans le même temps les Etats-Unis sont dopés par leurs hydrocarbures de schiste. Le poison du doute s’instille logiquement dans nos débats. Pourtant, les Européens doivent rester convaincus qu’ils n’ont pas d’autre voie, pour refonder un modèle de croissance, que d’inventer des sociétés sobres en carbone. Souvent repoussés à l’arrière-plan de la mondialisation, les Etats de l’UE ont comme seul atout maître d’avoir, les premiers, traduits une vision climatique en objectifs politiques contraignants. Si nous devions renoncer ou tergiverser, nous nous condamnerions à un rôle supplétif dans la globalisation faute d’autre ligne stratégique.
Paris 2015 succédant à Varsovie 2013 (via une halte au Pérou en 2014), les Européens ont donc devant eux sept cent trente jours pour faire naître un accord climatique. Pas plus. La responsabilité est écrasante, et le cahier des charges dense. Un accord soutenable à long terme supposera (entre autres prouesses) de faire émerger un prix mondial du carbone (pour rééquilibrer les filières énergétiques en fonction de leur empreinte sur le climat) et que les pays du Nord financent, stoïquement, les efforts des pays du Sud pour limiter leurs émissions, faciliter leur adaptation au changement et compenser les pertes subies par les pays victimes de catastrophes climatiques. Alourdissons la barque, en soulignant que le 1,2 milliard d’habitants n’ayant pas d’accès à l’électricité ne devront pas rester en marge d’un New Deal énergétique.
Ne nous abritons pourtant pas derrière l’Europe. Certes, l’accord de 2015 devra être universel, et chaque pays aura sa part de responsabilité dans le succès ou l’échec de la conférence Climat de Paris. Mais la France, pays hôte en 2015, aura une responsabilité particulière dans le succès nécessaire, par son habileté diplomatique sans doute, mais aussi par sa capacité à tracer elle-même les voies de sa propre transition énergétique.
L’épreuve de vérité, qui nous légitimera pour parler au monde, se jouera devant le Parlement fin 2014, lors du vote de la loi sur la transition énergétique. Les horizons de temps fixés par François Hollande lors des deux dernières conférences environnementales (un mix électrique diversifié en 2025 ; une diminution de la consommation énergétique de 50% en 2050) sont déjà des signaux importants pour réinstaller le politique dans sa capacité à s’abstraire de la tyrannie du court terme. Mais en faisant de Paris 2014 le marchepied de Paris 2015, nous confirmerons notre aptitude à concevoir une économie positive de l’énergie, qui se projette sur le temps long et qualifie notre pays dans le concert des nations.