En Allemagne, Siemens largue l’atome
Le groupe a annoncé hier qu’il va se retirer du nucléaire pour privilégier les énergies renouvelables.
«Nein, danke !» Surprise : hier, c’est le groupe Siemens qui a repris à son compte le slogan antinucléaire des années 70. Le conglomérat de l’industrie allemande, ex-partenaire du français Areva, a en effet annoncé qu’il se retirait définitivement du secteur du nucléaire et mettait le cap sur les énergies renouvelables. Un retrait spectaculaire, une réplique du séisme provoqué par la catastrophe de Fukushima dans le secteur de l’atome.
Dans une interview donnée à l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, le PDG du groupe, Peter Löscher, affirme : «Nous ne nous impliquerons plus dans la gestion totale de la construction de centrales nucléaires ou dans leur financement. Ce chapitre est clos pour nous.» Ce retrait stratégique est directement lié à la décision du gouvernement allemand, prise en juin, de renoncer à l’atome civil après le terrible accident de la centrale nucléaire japonaise. A compter de 2022, les 17 réacteurs nucléaires allemands, qui ont tous été construits par Siemens, auront mis la clé sous la porte. «Cela a changé les choses pour nous, chez Siemens», a reconnu Peter Löscher.
Lui-même, arrivé à la tête du conglomérat en 2007, est l’artisan d’une restructuration profonde du groupe en faveur des technologies «vertes» et du développement urbain international. Il a aussi été l’un des rares parmi les poids lourds de l’économie allemande à ne pas signer, en 2010, une lettre ouverte pour réclamer un allongement de la durée de vie des centrales allemandes. «A l’avenir, nous continuerons à livrer des pièces conventionnelles, comme des turbines à vapeur, a-t-il précisé hier. Cela signifie que nous nous bornons à des technologies qui ne servent pas qu’au nucléaire, mais que l’on trouve aussi dans les centrales à gaz ou à charbon.» Le PDG de Siemens considère que le désengagement de son groupe est une «réponse à la position claire prise par la société et le monde politique en Allemagne».
«Projet du siècle». Devenu un acteur majeur de la construction d’éoliennes au niveau international et un fournisseur de turbines à gaz et de matériels pour l’énergie éolienne et solaire, Siemens entend profiter de la nouvelle orientation du gouvernement allemand, qualifiée par le PDG dans l’interview de «projet du siècle» : en 2022, les énergies renouvelables devront en effet avoir, au moins, pris le relais des 22% d’électricité aujourd’hui produits par le nucléaire en Allemagne. Siemens se positionne donc pour devenir leader dans les énergies «vertes». Au passage, l’industriel abandonne son projet de co-entreprise dans le nucléaire avec le groupe public russe Rosatom. Après sa rupture avec le groupe nucléaire français Areva en 2009, Siemens s’était tourné vers la Russie et avait entamé des discussions avec Rosatom. «Les deux groupes sont toujours très intéressés par un partenariat. Mais il portera sur un autre domaine», a ajouté Löscher.
Comment se traduira la décision de Siemens en France ? Aura-t-elle un impact sur les deux fleurons tricolores du nucléaire, Areva et EDF ? L’effet Fukushima a poussé l’Allemagne, la Suisse et l’Italie à tourner le dos au nucléaire, et a remis en question «la renaissance» de l’atome espérée par l’industrie nucléaire française et mondiale, vingt-cinq ans après Tchernobyl. Mais le gouvernement de François Fillon n’a cessé de répéter ces derniers mois qu’il assumait le choix de l’atome malgré la catastrophe de Fukushima. L’Hexagone, qui compte 58 réacteurs et dont la part du nucléaire dans la production d’électricité est d’environ 75% (de très loin la plus élevée des grandes puissances) s’arc-boute sur ses positions : fin août, le Premier ministre en visite à la centrale du Bugey (Ain) s’est ainsi dit convaincu de «la place essentielle que le nucléaire occupe dans notre économie et notre bien-être quotidien».
Option. Début septembre, une commission regroupant experts, ONG, Etat et professionnels de l’énergie a néanmoins été chargée d’étudier les scénarios énergétiques en France d’ici 2050, incluant, selon le ministre de l’Energie, Eric Besson, une «sortie progressive» du nucléaire, une option que lui-même combat pourtant fermement. Parmi les scénarios figurent la prolongation de la durée de vie du parc nucléaire actuel, l’accélération du passage à la 3e, voire à la 4e génération, ainsi que la possibilité d’aller vers une sortie progressive du nucléaire à horizon 2050, voire 2040, ou vers une réduction progressive de la part du nucléaire.
Les quelque 1 500 personnes qui ont manifesté hier dans le Haut-Rhin à l’appel des associations membres du réseau Sortir du nucléaire et d’organisations écologistes allemandes, ont déjà choisi. Ils demandaient la fermeture immédiate de Fessenheim, la doyenne des centrales françaises.