François Hollande veut faire de la France « la nation de l’excellence environnementale »
La Conférence environnementale a débuté ce matin et s’achèvera demain. Le chef de l’État en personne a inauguré cet autre « new deal vert » qui précèdera un grand débat national sur la transition énergétique. Notre rédaction y était.
Les associations de protection de l’environnement, petit à petit sorties du jeu décisionnaire par l’ancienne majorité, et EELV (Europe Écologie-Les Verts), qui a eu matière à s’énerver contre son partenaire ces dernières semaines, attendaient impatiemment, mais sans doute avec anxiété, ce premier (très) grand rendez-vous « vert » du quinquennat. Les professionnels des secteurs éolien et photovoltaïque, non moins malmenés ces derniers mois, voire quelque peu oubliés, disons-le tout net, n’étaient pas plus sereins.
Ils veulent eux aussi des mesures, des « vraies », pas de simples tours de vis qui reviendraient à poser un plâtre sur une jambe de bois. Enfin sortir la tête de l’eau et pouvoir prospérer librement (c’est-à-dire être libéré des nombreuses contraintes inhérentes à la deuxième loi du Grenelle) pour le premier ; être en mesure de mieux supporter l’assommante concurrence chinoise pour le second, sachant que la filière photovoltaïque a perdu dix mille emplois en l’espace d’un an, en grande partie aussi à cause du déploiement – après un moratoire de trois mois dévastateur – d’un nouveau cadre de développement par le précédent gouvernement.
Des dizaines voire des centaines de milliers de postes sont en jeu et d’une façon générale, nul ne le contestera, la conjoncture écologique ne cesse de se dégrader, entre un réchauffement climatique qui s’aggrave, une biodiversité qui s’érode (NDLR : 30 % des soixante mille espèces répertoriées dans le monde sont actuellement menacées de disparition, comme l’a rappelé le président de la République) et des émissions de gaz à effet de serre (GES) qui n’ont de cesse d’augmenter à l’échelle mondiale. De quoi légitimer le ras-le-bol et l’appel à la mise en œuvre d’un nouveau modèle de croissance émanant des environnementalistes – ils étaient du reste quelques dizaines présents devant le Musée Guimet à réclamer à la fois la sortie du nucléaire, l’interdiction de l’exploration des gaz de schiste dans nos frontières et l’abandon du projet de construction d’un nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique).
Les allégations récentes de l’hôte de Matignon Jean-Marc Ayrault ainsi que celles des ministres de l’Écologie Delphine Batho et du Redressement productif Arnaud Montebourg concernant la filière nucléaire ont donné à penser qu’un tel dessein, il est vrai d’une infinie complexité, ne fait pas partie des projets immédiats de Paris. Il ne sera cependant pas dit que le développement durable aura été le grand absent de ce début de mandat.
Alors, pour rassurer les sceptiques et dans la lignée des dernières assertions de Mme Batho, promotrice d’un « patriotisme écologique » jugé indispensable afin de redresser les sociétés françaises de l’économie verte et qui a notamment plaidé pour que la production dans l’Hexagone soit un critère dans les appels d’offres dans l’ énergie durable, suivant la recommandation des auteurs d’un rapport commandé par le gouvernement, le président de la République s’est voulu tonique. Incisif aussi. Parfois séduisant, souvent offensif et résolument lucide. De sorte à ce que personne parmi les élus, les ONG *, les syndicats et les dirigeants d’entreprises conviés à la Conférence environnementale ne se méprenne sur les bonnes intentions présidentielles.
Prononcé place d’Iéna (XVIe arrondissement de Paris) au siège du Conseil économique, social et environnemental (CESE) devant un impressionnant parterre de décideurs ** et d’acteurs environnementaux – parmi eux, citons notamment l’eurodéputé EELV Yannick Jadot, la présidente de Cap21 également députée européenne Corinne Lepage, ou encore l’ancien candidat à la primaire écologiste Nicolas Hulot – le discours du chef de l’État a précédé le lancement de cinq tables rondes autour des sujets suivants : « Préparer le débat national sur la transition énergétique » (NDLR : pour rappel, celui-ci se poursuivra jusqu’à l’année prochaine et débouchera sur une loi de programmation), « Faire de la France un pays exemplaire en matière de reconquête de la biodiversité », « Prévenir les risques sanitaires environnementaux », « Mettre en œuvre une fiscalité plus écologique » et « Améliorer la gouvernance environnementale ». Plus de trois cents personnes y prendront part et dégageront des propositions pour que ces objectifs très ambitieux se réalisent.
La majorité des participants sont issus des cinq collèges du Grenelle de l’environnement, mais l’Élysée a souhaité associer les parlementaires dans un sixième collège constitué de dix députés désignés par le président de l’Assemblée Nationale Claude Bartolone, dix sénateurs désignés par le président du Sénat Jean-Pierre Bel et cinq députés européens choisis par les principaux groupes de la délégation française au Parlement européen.
« Dialoguer pour décider, prendre les sujets les plus difficiles pour chercher les solutions les plus pertinentes, faire participer tous les acteurs pour porter ensemble un changement durable » dans tous les sens du terme : telle est l’approche voulue par le président de la République, qui a tenu à préciser, tout en soulignant ses « mérites incontestables », en particulier « la prise de conscience de l’urgence écologique », que la Conférence environnementale n’est « pas une reproduction, sous une autre forme, du Grenelle de l’environnement ». « Certains engagements ont été traduits dans les faits, d’autres ont été oubliés et les moyens financiers n’ont pas été à la hauteur des objectifs annoncés », a-t-il également rappelé, déplorant que « l’ambition initiale (ait) été perdue et l’économie une nouvelle fois opposée à l’écologie ».
Et de s’interroger solennellement : « Serons-nous solidaires des générations à venir ou trop cupides ou avides pour laisser à nos enfants un fardeau que nous aurons encore alourdi du poids de nos égoïsmes ? »
i certaines déclarations de plusieurs ministres concernés ont fait grincer des dents bien des défenseurs de la planète, les mesures dévoilées tout à l’heure devraient les satisfaire.
Parmi elles, la relance de la proposition d’une contribution carbone européenne, disposition qui sera néanmoins difficile à obtenir dans la mesure où elle suppose l’unanimité des Vingt-Sept. M. Hollande a par ailleurs indiqué que la France, déterminée à obtenir un accord global sur le climat d’ici 2015, est « disponible » pour accueillir le Sommet international sur le Climat cette année-là. Ladite réunion se tiendrait à Paris et plus largement, l’Hexagone « va construire durant ce quinquennat une véritable diplomatie environnementale », avec en ligne de mire un objectif de 40 % de réduction des rejets carbone à l’horizon 2030 et de 60 % dix ans plus tard.
L’Élysée a aussi profité de la Conférence environnementale pour réitérer, non sans vigueur, les principaux engagements pris durant la campagne présidentielle : la rénovation thermique d’un million de logements, la diminution de la part de l’atome dans le bouquet énergétique national de 75 à 50 % d’ici 2025 et la fermeture de la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin), jugée dangereuse par les ONG de protection de l’environnement et pléthore d’élus locaux aussi bien en France qu’en Suisse et en Allemagne. L’incident de la semaine dernière, le deuxième en moins de cinq mois, a-t-il fait son effet ? Toujours est-il que le président de la République, invité à divulguer une feuille de route détaillée par les ténors d’EELV, a officialisé sa mise hors service fin 2016.
L’appel d’offres gouvernemental pour deux champs éoliens offshore supplémentaires sur les sites du Tréport (Seine-Maritime) et de Noirmoutier (Vendée) devrait quant à lui être lancé demain. Et si rien de nouveau n’a filtré sur le projet précité d’un nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes – M. Ayrault y étant favorable, il serait toutefois très surprenant que ce dossier soit enterré ce week-end -, M. Hollande a aussi évoqué « de nouveaux appels d’offres pour le solaire sur les grandes installations ».
S’agissant des gaz et huiles de schiste, il s’est voulu intraitable, soulignant judicieusement que « dans l’état actuel de nos connaissances, personne ne peut affirmer que (leur) exploitation par fracturation hydraulique […] est exempte de risques lourds pour la santé et l’environnement ». En conséquence, l’Élysée a demandé à Mme Batho de « prononcer sans attendre le rejet de sept demandes de permis déposés auprès de l’État ». Total et consorts vont donc devoir prendre leur mal en patience…
On saluera enfin l’annonce de « la création d’une Agence nationale de la biodiversité chargée, sur le modèle de l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie), de venir en appui des collectivités locales, des entreprises comme des associations ». « L’environnement n’est pas séparable du redressement productif, de la lutte contre les inégalités, de la démocratie. Il s’agit d’une cause qui dépasse les intérêts, les générations, les frontières, mais concerne l’humanité toute entière », a estimé, lyrique, M. Hollande. Et de conclure, dans un mélange d’applaudissements et de vives espérances contenues : « La transition que nous engageons n’est pas un programme. C’est bien plus qu’un choix de société, c’est un modèle de développement, c’est une conception du monde. »
Beaucoup plus qu’un examen de rentrée, cette première Conférence environnementale – il y en aura une chaque année jusqu’en 2017 au moins – a vocation à être un acte fondateur. Un grand débat sur la transition énergétique doit donc suivre à l’automne et s’étaler en 2013. Cette fois aussi, le successeur de Nicolas Sarkozy le sait : il n’aura pas le droit de se manquer.
Il sait également qu’en l’occurrence, la normalité n’est adaptée ni aux attentes, ni aux enjeux.
* Écologie sans frontière, France Nature Environnement (FNE), la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme (FNH), Greenpeace, Humanité et Biodiversité, Les Amis de la Terre, la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO) et le WWF France.
** Outre le Premier ministre, pas moins de quatorze ministres sont concernés : Delphine Batho (Écologie), Jérôme Cahuzac (Budget), Pascal Canfin (délégué chargé du Développement), Frédéric Cuvillier (délégué chargé des Transports, de la Mer et de la Pêche), Cécile Duflot (Égalité des territoires et Logement), Geneviève Fioraso (Enseignement supérieur et Recherche), Guillaume Garot (délégué chargé de l’Agroalimentaire), Marylise Lebranchu (Réforme de l’Etat, Décentralisation et Fonction publique), Stéphane Le Foll (Agriculture), Victorin Lurel (Outre-mer), Arnaud Montebourg (Redressement productif), Fleur Pellerin (PME, Innovation et Économie numérique), Michel Sapin (Travail, Emploi et Formation professionnelle) et Marisol Touraine (Affaires sociales et Santé).