L'apiculture française s'organise pour mieux défendre ses intérêts
Que ce soit au niveau français ou européen, les apiculteurs sont plus que jamais mobilisés pour défendre la cause de l'abeille en cette année internationale de la Biodiversité. La lutte contre les pesticides reste le cœur de leur action.
Dans la lignée des travaux du député de Haute-Savoie Martial Saddier, auteur du rapport ''pour une filière apicole durable'' remis au Premier ministre à l'automne 2008, l'Institut Scientifique Technique de l'Abeille et de la Pollinisation (ITSAP) est sur le point d'être créé. Selon le rapport Saddier, cette interprofession apicole doit être un ''lieu d'échanges, d'écoute, de dialogue et de propositions entre l'ensemble des acteurs de cette filière ainsi que des pouvoirs publics nationaux et internationaux''.
Si la création de cette entité est prévue le 12 mars prochain, sa préparation ne fut pas de tout repos. Validée en octobre 2009, la première version des statuts de l'ITSAP a provoqué la colère de la filière apicole : ''le comité scientifique était décisionnaire, les scientifiques qui avaient mis en évidence le rôle des phytosanitaires dans les surmortalités d'abeille en étaient écartés, l'Union des Industriels de la Protection des Plantes avait ses entrées au Conseil d'Administration, l'UNAF a dû se mobiliser'', explique Henri Clément, Président de l'Union National des Apiculteurs Français. Les arguments juridiques déployés par la profession ont finalement eu gain de cause puisque le 22 janvier dernier, de nouveaux statuts ont été actés par l'ensemble des acteurs.
Désormais, le comité scientifique jouera un rôle consultatif et intégrera plusieurs chercheurs reconnus par les apiculteurs et les sociétés productrices de produits phytopharmaceutiques ne pourront pas prendre part au Conseil d'Administration. D'autres points sont encore à préciser. L'UNAF négocie le rôle de la filière agricole qui espère garder un pouvoir décisionnaire alors que la filière apicole ne voudrait lui accorder qu'un rôle consultatif. ''Le budget alloué à l'institut fixé à 350.000 euros nous paraît faible par rapport à l'ampleur des travaux à mener'', ajoute par ailleurs Henri Clément. En attendant les premiers travaux de l'ITSAP, l'UNAF poursuit sa lutte contre les pesticides qu'elle considère comme toxiques pour les abeilles.
Un nouvel insecticide inquiète la filière
L'UNAF s'inquiète plus particulièrement d'un nouveau produit baptisé Proteus® et récemment homologué, un insecticide neurotoxique de la famille des néonicotinoïdes comme le Gaucho et le Cruiser. Ce produit sera utilisé pour la première fois en France au printemps 2010 par pulvérisation sur céréales, pommes de terre, betteraves et surtout sur le colza, dont les fleurs sont particulièrement appréciées par les abeilles. La pulvérisation prendra fin avant la floraison mais les apiculteurs craignent des intoxications massives de leurs cheptels lors du butinage.
''Une nouvelle étude de l'Inra d'Avignon a récemment démontré la toxicité des insecticides néonicotinoïdes et plus précisément leur interaction avec certaines infections'', explique Sophie Dugué apicultrice dans la Sarthe et responsable du dossier des pesticides à l'UNAF. ''La maladie et les pesticides ont un effet synergique, nos ruches sont malades certes mais parce qu'elles sont fragilisées par les insecticides'', ajoute-t-elle.
Les apiculteurs envisagent par conséquent de déposer un recours juridique pour annuler l'autorisation de mise sur le marché accordée pour 10 ans à ce nouveau produit. L'UNAF n'a donc pas fini ses travaux juridiques bien qu'elle se sente démunie : ''nous n'avons que deux mois pour déposer un recours après la remise de l'autorisation or nous découvrons ces autorisations lorsque ce délai est dépassé'', explique Bernard Fau, avocat de l'association. '
'Seule la société requérante est informée car il n'y a pas de publication officielle, nous devons donc déployer une procédure souvent très longue'', ajoute-t-il.
Cette lourdeur administrative est d'autant plus frustrante aux yeux de l'association que certaines autorisations sont validées au goûte à goûte comme pour le Cruiser qui bénéficie d'autorisation d'un an. L'association reste toutefois plus que jamais mobilisée au niveau français mais également européen.
Interrogations sur le prochain règlement européen
La coordination européenne s'organise face aux évolutions réglementaires attendues dans les prochaines années. Le Parlement européen et les Etats membres se sont en effet mis d'accord en 2009 sur de nouvelles règles de mise sur le marché et d'utilisation des pesticides qui entreront en vigueur en 2011. Le nouveau règlement établit des procédures pour l'évaluation scientifique des substances actives et l'autorisation des préparations commerciales.
Ces procédures comportent notamment des critères visant à exclure les pesticides les plus dangereux et à les substituer par des alternatives moins nocives lorsqu'elles existent. Toutefois si une substance reste nécessaire pour combattre une menace sérieuse à la « santé des plantes », elle pourra être approuvée pour une période de 5 ans.
Mais l'UNAF s'inquiète surtout de la nouvelle procédure d'autorisation car les pays pourront autoriser les pesticides en se basant sur le principe de reconnaissance mutuelle. Cette idée de la Commission européenne consiste à diviser l'UE en trois zones (nord, centre et sud) et à considérer que tout pesticide autorisé par un Etat membre au sein d'une zone serait approuvé systématiquement par les autres pays de la zone.
La France sera dans la zone sud avec la Bulgarie, l'Espagne, la Grèce, l'Italie, Chypre, Malte et le Portugal. Or, selon Bernard Fau, l'avocat de l'UNAF, certains pays n'ont pas la même vigilance par rapport à ces produits ou n'ont pas les moyens suffisants pour vérifier leur innocuité de manière approfondie. ''Le choix du pays où déposer la demande d'autorisation sera donc crucial pour les fabricants'', estime-t-il. Précisons toutefois qu'il est prévu que les Etats membres puissent interdire un produit sur leur territoire, notamment pour des circonstances environnementales ou agricoles spécifiques. L'UNAF sera donc particulièrement vigilante aux choix de la France.