« L'Australie sacrifie de plus en plus l'environnement au profit de l'économie »
C'est le dernier exemple en date du peu de crédit que le gouvernement australien actuel accorde à l'environnement : Canberra a approuvé, vendredi 31 janvier, le rejet, dans les eaux de la Grande Barrière de corail, de déchets de dragage provenant des travaux d'extension d'un port d'exportation de charbon. Inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco, la Grande Barrière a déjà perdu plus de la moitié de ses coraux au cours des vingt-sept dernières années sous l'effet de facteurs météorologiques (tempêtes), climatiques (réchauffement) et industriels.
David Camroux, chercheur franco-australien au Centre d'études et de recherches internationales (CERI) de Sciences Po, analyse la relation conflictuelle et difficile qu'entretient l'Australie avec la question environnementale.
Ce feu vert au rejet de déchets dans les eaux de la Grande Barrière de corail est le dernier d'une longue liste de reculs sur la question environnementale sous le gouvernement de Tony Abbott...
David Camroux : L'arrivée au pouvoir de Tony Abbott et de conservateurs à la tête des Etats fédérés marque un important recul pour l'environnement en Australie. Vendredi, les autorités de Tasmanie ont demandé le retrait de la liste du patrimoine mondial de l'humanité de 74 000 hectares de forêt primaire afin de pouvoir les exploiter. Il y a quelques jours, le gouvernement d'Australie-Occidentale lançait un « plan requins », visant à tuer tout squale de plus de 3 mètres nageant à moins d'un kilomètre des côtes.
Juste après son élection, en septembre, le premier ministre conservateur Tony Abbott a également supprimé le ministère des sciences, ainsi que l'Autorité du changement climatique [chargée de conseiller le gouvernement sur la lutte contre le changement climatique] et la Commission du climat [organisme indépendant chargé d'informer le public sur le changement climatique].
Surtout, il a annoncé la suppression de la taxe carbone instaurée par sa prédécesseure travailliste Julia Gillard en 2012. Elle avait pour objectif de réduire les rejets de CO2 dont l'Australie est un des plus grands émetteurs en obligeant les 500 plus gros pollueurs à acheter des permis d'émission.
Comment expliquer que Tony Abbott s'attaque tant à l'écologie ?
Tony Abbott a été élu après une campagne contre les taxes de manière générale, et la taxe carbone en particulier. C'est un climato-sceptique revendiqué, qui qualifiait en 2009 de « connerie absolue » l'attribution du changement climatique à l'activité humaine.
Il a aussi été sensible au lobby très fort de l'industrie minière et pétrolière. Depuis quelques années, l'Australie connaît un boom minier : elle exploite de nombreuses mines géantes de charbon, de cuivre et de minerai de fer. Son économie dépend de plus en plus de l'exploitation de ces matières premières très polluantes, essentiellement exportées en Chine. Résultat : elle est le seul pays de l'OCDE à avoir échappé à la récession en 2008 et son taux de chômage ne dépasse pas 5 % de la population. Le gouvernement veut donc limiter les contraintes qui pèsent sur les entreprises afin de maintenir la croissance du pays. L'Australie sacrifie de plus en plus l'environnement sur l'autel des intérêts économiques et politiques.
Enfin, Tony Abbott tient un discours nationaliste et de repli sur soi : il souhaite s'occuper des problèmes du pays tandis que le rôle moral de l'Australie dans le monde n'a pas d'importance. Pour preuve, son ministre de l'environnement, Greg Hunt, qui n'a pas de compétence ou de sensibilité écologique, ne s'est pas rendu à la dernière conférence de l'ONU sur le climat qui s'est tenue à Varsovie en novembre.
Ses prédécesseurs ont-ils été plus volontaires sur la question environnementale ?
Les premiers ministres travaillistes ont souhaité avancer sur la question environnementale, contrairement aux conservateurs. Après des années d'immobilisme sous le gouvernement du conservateur John Howard (1996-2007), le premier ministre travailliste Kevin Rudd a été élu en 2007 sur un programme écologiste assez fort. Il avait même obtenu le soutien de l'ancien vice-président américain Al Gore pendant sa campagne. Il a lancé l'adhésion de l'Australie au protocole de Kyoto, qui vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Et c'est lui qui a promis de mettre en place une taxe carbone ainsi qu'une taxe sur les ressources minières. Mais l'industrie minière, qui a mené une très forte campagne contre ces projets, a réussi à avoir sa tête.
Sa successeure, Julia Gillard, arrivée au pouvoir en 2010 avec une faible majorité, avait besoin du soutien des Verts au Sénat pour gouverner. Sous leur pression, elle a fini par mettre en œuvre une taxe sur l'exploitation des ressources non renouvelables, mais dans une version moins ambitieuse que le projet de Rudd. Elle a également lancé la mise en place de la taxe carbone.
Que pense la population de ces problématiques ?
Les clivages sur l'environnement s'accentuent. La plupart des gens sont climato-sceptiques et récusent l'influence humaine sur les événements climatiques extrêmes qui frappent le pays (sécheresses, inondations). Le fait que 70 % des médias australiens appartiennent à l'empire de l'homme d'affaires australo-américain Rupert Murdoch, lui-même climato-sceptique, joue un rôle dans cette défiance.
Il existe également un clivage entre la ville et la campagne. D'un côté, une partie de la population qui vit dans des zones agricoles intensives ou d'exploitations de bois rejette le discours écologiste qu'elle associe aux « écolos bobos et citadins ». Une partie des Australiens profitent aussi de la manne minière et ont vu une augmentation de leurs salaires, même pour des emplois peu qualifiés. D'un autre côté, il y a une inquiétude croissante des associations écologistes et de certains habitants qui craignent la destruction de leur environnement.
La population est également divisée sur la question de l'exploitation du gaz de schiste. Le gouvernement de Nouvelle-Galles du Sud a interdit cette exploitation pour ne pas porter préjudice à la production de vin, sous la pression conjointe des écologistes et des agriculteurs. Mais les réserves les plus importantes se trouvent dans le Queensland, où l'opposition est faible.