La Chine en lutte contre le désert
Le pays est en guerre contre la désertification, qui touche déjà un quart du territoire...
Usant d'une technique éprouvée, Wang Youde bêche le flanc d'une dune pour y dresser des petits remparts de paille à angles droits. Dans chaque carré ainsi dessiné, une plante doit ensuite s'enraciner pour juguler l'avancée du désert. Wang Youde, 57 ans, est le directeur de la réserve nationale de Baijitan, une ferme collective du Ningxia, région du nord de la Chine balayée par les tempêtes de sable venues des immensités mongoles. Le désert de Maowusu est un prolongement du désert géant de Gobi. Il menace directement la grande ville de Yinchuan, capitale du Ningxia, un territoire parfois qualifié de «pays de la soif».
Quand il était jeune, Wang Youde a été témoin des ravages de l'érosion: les cultures perdues, les familles obligées de fuir, les maisons condamnées à disparaître. Des drames qui l'ont marqué. «Au début nous étions dans une situation très difficile. Nous n'avions pas d'argent pour lutter contre le sable. Nous avons dû aller nous-mêmes à la ville chercher des financements», relate l'homme au teint cuivré par des décennies de labeur en plein air. Avec ses proches, membres comme lui de l'ethnie musulmane hui, il s'est lancé dans une lutte de Sisyphe pour tenter de «fixer» les dunes de Maowusu. Sa méthode de carrés d'herbes sèches protégeant le végétal à planter a fait ses preuves.
Cette technique non mécanisée nécessite une importante main d'oeuvre. La ferme coopérative de Baijitan emploie environ 450 ouvriers agricoles, aux deux tiers musulmans, qui vivent sur place dans des logis proprets. «Chaque travailleur se voit fixer un objectif annuel de creuser 10.000 trous, planter 10.000 végétaux et gagner 10.000 yuans (1.170 euros)», explique Wang Youde. Grâce à l'eau puisée dans la nappe phréatique très profonde, ils réalisent des miracles. Le directeur fait visiter le fleuron de son exploitation, des vergers plantés dans un vallon sablonneux qui produisent des pommes goûteuses.
Tout autour c'est bien pourtant le désert qui s'étend, mais un désert aux collines transformées en damier, où le vert remplace peu à peu l'ocre. Selon Wang Youde, grâce à la végétation la vitesse des vents charriant le sable a chuté de 50%. La réserve de Baijitan couvre 1.480.000 mu (unité de superficie chinoise, NDLR), soit environ 100.000 hectares. Elle abrite une «ceinture verte», large de 10 kilomètres et longue de 42, censée contenir l'avancée des dunes. C'est une propriété d'Etat mais le gouvernement ne contribue qu'à un cinquième de son financement, le reste provenant des ventes de la production agricole, comme les pêches ou les pommes.
Les dirigeants chinois, parmi lesquels le chef de l'Etat Hu Jintao et le vice-président Xi Jinping, ont fait le voyage sur place pour célébrer le «modèle» de Baijitan. Wang Youde est l'archétype de ces «héros» dévoués que le régime communiste aime mettre en avant, comme Yang Liwei, le premier spationaute chinois, ou Yuan Longping, le père du riz hybride. Le «guerrier des sables» a même fait partie des relayeurs de la torche olympique des Jeux de 2008 à Pékin.
Mais les succès qu'il a enregistrés ne doivent pas masquer la dure réalité ailleurs. D'après les experts, la désertification gagne plusieurs milliers de kilomètres carrés par an en Chine. Les étendues désertiques recouvrent déjà plus d'un quart du territoire. Selon l'agroéconomiste Lester Brown, environ 24.000 villages dans le nord-ouest de la Chine ont été totalement ou partiellement abandonnés depuis 1950. «La Chine est désormais en guerre. Son territoire est menacé, non par l'invasion d'armées, mais par l'extension des déserts. Les anciens déserts progressent et de nouveaux se forment, telles des forces de guérilla frappant à l’improviste. Et Pékin est en train de perdre cette guerre», a récemment écrit ce spécialiste.
La maîtrise de la Chine en matière de lutte contre le désert est toutefois devenue une référence mondiale. Les experts et responsables politiques étrangers se succèdent à Baijitan. Rencontré dans le Ningxia, Hussein Hawamdeh, de l'université de Jordanie, a par exemple assuré à l'AFP que l'expérience chinoise était utile à la région jordanienne de Badia, une importante zone d'élevage et de pâturages menacée par une désertification rapide.