Les abeilles disparaissent, mais les pesticides survivent
Le plan gouvernemental de soutien à la filière apicole ne s’attaque pas à l’une des causes majeurs du mal…
Menacées à la fois par les maladies, les parasites, les OGM, les insecticides, les pesticides, le frelon asiatique, « débarqué » accidentellement dans nos frontières en 2004 et qui gagne constamment du terrain depuis, voire par les ondes des téléphones portables si l’on en croit les résultats de plusieurs expérimentations scientifiques, les abeilles voient leurs stocks fondre comme neige au soleil depuis plusieurs décennies. Un phénomène qui, eu égard à leur importance au sein de la biodiversité, pourrait avoir un impact de premier plan sur l’espèce humaine et inquiète logiquement les pouvoirs publics.
Un phénomène qui entraîne aussi, fatalement, une diminution vertigineuse – - 40 % depuis dix ans ! – du nombre d’apiculteurs. Moribonde, souffrant d’un manque d’aides et de financements chronique, la filière va faire l’objet d’un plan triennal de soutien dont le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll a dévoilé les grandes lignes vendredi à l’occasion d’un déplacement dans la Sarthe. L’intention est louable sauf qu’une fois encore, le puissant lobby des pesticides s’en tire à (très) bon compte.
Point d’interdiction en effet des insecticides néonicotinoïdes, dont la responsabilité dans la baisse constante des effectifs d’apidés est pourtant indiscutable. Et nos confrères du Monde de décrypter : « Cette nouvelle classe est d’une foudroyante efficacité. Ses représentants – Cruiser, Gaucho, Poncho etc. – [...] sont principalement utilisés en enrobage des semences sur les grandes cultures. Le principe est simple : la plante s’imprègne du produit et devient toxique pour les insectes, tout au long de sa croissance. Le déploiement de cette technologie de protection des plantes s’est accompagné d’une forte accélération du déclin des insectes pollinisateurs. Or, depuis plus de dix ans, de nombreuses études menées en laboratoire montrent une variété d’effets toxiques inattendus, attribuables aux néonicotinoïdes : désorientation des insectes, perte des fonctions cognitives, synergie avec des pathogènes naturels etc ».
Bruxelles tranchera
Le refus d’agir du gouvernement est un coup dur de plus pour les abeilles, « indispensables à la vie végétale » de l’aveu même du ministre, et par extension pour les associations de protection de l’environnement, lesquelles réclament une législation beaucoup plus stricte en matière de recours aux pesticides depuis des années. Rappelons par ailleurs que le plan Ecophyto 2018, concocté par l’ancienne majorité et qui visait à réduire de moitié l’utilisation des produits phytosanitaires à cette date (par rapport aux niveaux de 2008), est loin d’avoir eu les effets escomptés, celle-ci étant même repartie à la hausse l’an dernier…
Indissociables du modèle agricole dominant dans les pays développés, les insecticides et pesticides sont-ils une fatalité ? Force est en tout cas de reconnaître que rien d’ambitieux, rien de courageux n’est entrepris pour les faire disparaître, alors même qu’ils pénètrent aussi les nappes phréatiques, posant de fait un problème sanitaire majeur.
Partant de là, les dispositions dévoilées par le ministre semblent secondaires. Alors qu’environ quatre mille cinq cents apiculteurs français renoncent chaque année à leur activité et que les importations de miel sont en perpétuelle augmentation, une enveloppe de quarante millions a tout de même été débloquée « pour la formation initiale et la formation de techniciens spécialisés », résume le site Internet du quotidien, selon lequel les objectifs étatiques sont de « favoriser la structuration de la profession, la promotion des produits de l’apiculture (miel, gelée royale), l’amélioration des circuits de distribution et la mise en place d’une filière compétitive d’élevage de reines ».
Récemment créé, l’Institut technique et scientifique de l’apiculture et de la pollinisation (ITSAP) peut favoriser leur concrétisation à travers notamment la production de données économiques et sanitaires fiables, lesquelles ne sont pas légion aujourd’hui… L’Union nationale de l’apiculture française (UNAF) aurait quant à elle souhaité une interdiction totale et définitive des insecticides précitées. Un voeu auquel M. Le Foll n’a pas accédé, préférant s’en remettre à l’avis de la Commission européenne, qui doit débattre jusqu’à la fin du mois de la mise en oeuvre d’un moratoire de deux ans portant sur la clothianidine, l’imidaclopride et le thiaméthoxame, trois molécules chimiques appartenant à la famille des néonicotinoïdes et qui n’y sont pas pour rien, on l’a vu, dans le déclin des abeilles.
Bruxelles a le choix : tenter de l’endiguer ou persister à protéger des intérêts industriels qui, en l’occurrence, se font au détriment direct de la vie.