Les jardins suspendus de Manhattan : la prairie en centre-ville

Publié le par Gerome

Béton, ruissellement, pollution…, la ville semble un environnement hostile pour la végétation. Pourtant un chercheur de la Fordham University de New York vient de montrer que même les toits de la Grosse Pomme peuvent devenir des oasis. Naturellement.



En se baladant en ville, le biologiste Jason Aloisio s’est toujours étonné de la variété de plantes et d’animaux que l’on peut rencontrer dans les recoins urbains. En bon naturaliste, il a collecté des échantillons de graines ou d’insectes d’une grande diversité, même dans des endroits apparemment aussi inaccessibles que les sommets des gratte-ciels.

L’explorateur urbain raconte la naissance de son idée : « J’ai arpenté les toits, fouillant parmi les feuilles accumulées, échantillonnant les insectes, découvrant des arbres poussant dans des petites fissures voire dans les ordures ». Et une question lui est venue naturellement à l’esprit : « si ces organismes arrivent à grimper sur ces déserts perchés, que se passerait-il si on leur y fournissait de quoi croître ? »

Des jardins tombés du ciel

Ainsi est né son projet d’expérimentation qu’il a pu greffer sur un programme de recherche déjà planifié. Quatre-vingt cinq bacs de 2 m sur 4 et de 10 ou 15 cm de profondeur ont été disposés sur de multiples toits. Le programme normal prévoyait d’y planter des végétaux en automne mais Jason Aloisio a pour ainsi dire laissé pousser l’herbe sous les pieds de ses collègues. En remplissant les bacs de terreau commercial dès le printemps, il a eu plusieurs mois pour observer la colonisation de ses parcelles vierges. Car rapidement, les graines transportées par le vent ou les oiseaux se sont mises à germer.



Trente variétés de végétaux ont été recensées, soit un tiers des taxons naturels de la région. Une diversité moyenne de 12 espèces différentes par bac a pu être calculée et seuls 18 bacs sur les 85 disposés n’ont été colonisés par aucune plante. Les bacs les plus profonds (15 cm au lieu de 10) ont permis une meilleure croissance avec plus de biomasse formée.



Parmi les plus représentées, on trouve des herbes comme Poa annua ou Mollugo verticillata mais aussi deux amarantes (Amaranthus blitoides et Amaranthus retroflexus), la céréale millet (Digitaria sanguinalis), et le pourpier (Portulaca oleracea), une plante grasse idéale pour des salades. Or ces quatre dernières sont parfaitement comestibles. Ces résultats surprenants ont été présentés lundi au congrès annuel de l’Ecological Society of America, à Austin, Texas. Avec plus de temps, peut-être que d’autres espèces végétales et animales s’ajouteraient aux pionnières pour former un écosystème stable, proche de la prairie.



À quand les bisons ?



Après avoir saccagé les immenses prairies du centre du continent, les Américains essaieraient-ils donc de les reconstituer sur les toits de leurs villes verticales ? Pas tout à fait. Point de bisons en vue sur l’Empire State Building, King Kong a suffi. L’expérience montre surtout la biodiversité cachée des centres urbains et la capacité des espèces à dénicher et coloniser le moindre habitat. Elle étonne en révélant tout un monde insoupçonné au cœur même de l’environnement que l’on croit contrôler le mieux.



Habiller de végétaux les toits ou les murs n’est pas nouveau ; les vertus de l’aménagement vert de ces surfaces sont nombreuses. Mais les professionnels de la végétalisation, comme l’entreprise Roofmeadow ou l'International Green Roof Association, sont ici sceptiques, rapporte un article de Nature. Ils analysent l’expérience avec l’œil un peu méprisant du jardinier à qui on demanderait d’abandonner son jardin aux broussailles. Pourquoi laisser pousser les herbes sauvages quand eux-mêmes peuvent fournir à leurs clients une grande diversité de belles plantes grasses ou autres espèces nobles ? Pour eux, la colonisation naturelle par les espèces locales sauvages devrait rester un concept d’étude.



Jason Aloisio, en tout cas, ne se laisse pas démonter. Il étudie à présent une forme d’agriculture urbaine, en plantant des espèces comestibles sur les toits. Comme le miel des ruches de l’opéra Garnier, la production restera certainement anecdotique. Mais c’est le signe de l’importance que prend une approche nouvelle de l’urbanisme où la nature et les écosystèmes tendent à être intégrés et non plus expulsés de la ville.

 

 

Publié dans Nature

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article