Lumière sur : la Z.D.M des deux Corées

Publié le par Gerome


La Guerre froide s’est brièvement réchauffée entre 1950 et 1953 quand le centre de la péninsule coréenne fut dévasté par un conflit sauvage. Une Corée du nord envahissante, soutenue par la Russie et la Chine communistes, dut faire face à la résistance sud-coréenne, soutenue par les Nations Unies avec principalement des troupes américaines. La guerre fut interrompue par une trêve - il n’y a toujours pas de traité de paix - et un no man’s land a été créé pour séparer les troupes ennemies.
Cette étendue de terre fortement minée et étroitement surveillée constitue la zone démilitarisée (ZDM). Pendant 51 ans, les hommes ont été tenus à l’écart de la majeure partie de cette zone. La ZDM coréenne est la terre de repos sacrée des soldats et autres victimes de guerre. Le peuple coréen a payé un lourd tribut et la ZDM représente la mémoire de cette tragédie. Préserver cette particularité est donc spirituellement important.

De plus, cette conservation est tout aussi importante d’un point de vue écologique. L’exclusion des hommes de la ZDM a permis que s’y produise une expérience avec la nature tout aussi extraordinaire qu’inattendue. Dans ce couloir large de quatre kilomètres et traversant la péninsule sur 250 kilomètres, de luxuriants habitats sauvages ont refait surface là où la guerre avait tout détruit. La terre en jachère située dans la section occidentale s’est transformée en de denses prairies et en bosquets d’arbustes feuillus. Des forêts vertes et abondantes ornent les chaînes montagneuses orientales. Des espèces végétales et animales menacées y ont trouvé refuge. La faune et la flore y sont abondantes : des ours noirs d’Asie, des léopards, des cerfs musqués, des gorals d’Amour (chèvres des montagnes d’Asie, vivant de l’Himalaya à l’Amour) et des phoques tachetés ont été aperçus. Certaines personnes pensent qu’il y a aussi des tigres sibériens.


Ours noir d'Asie

D’après George Archibald, de la Fondation internationale Crane, une variété rare de grues serait revenue dans la ZDM : il se pourrait que presque la moitié des 2000 grues du Japon au monde ainsi que des grues à cou blanc, presque aussi rares, séjournent dans la zone. Des 1000 petites spatules qui subsistent encore à travers le monde, 90% se reproduisent dans la ZDM. Il fut un temps où l’ibis nippon y habitait et il peut être aujourd’hui réintroduit depuis la Chine où la volée atteint désormais plusieurs centaines de têtes. Environ 1000 vautours moines, et probablement quelques pics à ventre blanc de Corée vivent aussi dans la ZDM. La cigogne blanche, qui a presque disparu au Japon, survit en Corée.

Grue du Japon

La protection de ces oiseaux migrateurs ne concerne pas que la Corée. Un expert a récemment écrit que « avec la possible réunification entre les deux Corées, la ZDM pourrait devenir le point névralgique des questions de conservation en Asie. L’éventuelle perte de l’habitat, essentiel aux espèces menacées qui en sont devenues dépendantes, représente une grande menace ». Pour les experts des écosystèmes, la ZDM est un laboratoire unique où l’on peut étudier la reconquête de la nature. Pour les deux Corées, elle représente la dernière occasion de rétablir une certaine biodiversité sur leurs terres. Les deux nations ont été fortement indifférentes à leurs écosystèmes, détruisant beaucoup d’espèces qui subsistent dans la ZDM.

Bien que les experts n’aient pas eu accès à la zone même, ils ont obtenu assez de preuves pour estimer que la zone et les terrains partiellement protégés alentour (la zone civile de contrôle, une ceinture agricole ouverte par endroits pour raisons de défense) accueillent 52 espèces de mammifères, 201 espèces d’oiseaux, 28 reptiles amphibiens, 67 espèces de poisson d’eau douce et 1194 espèces végétales. Certaines de ces espèces se retrouvent en grand nombre dans le reste du monde mais d’autres - comme les grues - sont rares et menacées.


En plus de la protection des espèces, la ZDM et les zones civiles de contrôle contiguës sont d’une beauté saisissante. Cinq rivières traversent la zone, une ressource vitale pour l’avenir de tous les Coréens. La hauteur des montagnes varie entre 700 et 1600 mètres. La forêt abrite des arbres à feuilles caduques et des conifères, protégeant des lignes de partage des eaux qui débouchent dans la mer Jaune à l’ouest. Il y a des lacs, des lagons, des dunes de sable, des vasières et des terres marécageuses.

La ZDM est aussi une source importante d’eau douce et d’air pur. Le contraste est saisissant entre la qualité de l’air de la zone et celle du reste du pays. De plus en plus de Sud-Coréens veulent combattre la pollution de l’air et de l’eau que cause la rapide industrialisation du pays et l’opinion publique est très favorable à la conservation de la ZDM comme réserve d’eau et d’air purs. Ce remarquable refuge naturel, unique en son genre, a été préservé car les deux Corées sont toujours en guerre, des soldats armés patrouillent encore des deux côtés et des mines menacent les envahisseurs. Mais que se passera-t-il quand l’armistice vieux de 51 ans se transformera en traité de paix ? Il est alors probable que les forces empressées et opportunistes du développement économique revendiqueront un morceau de cette terre « inutilisée ».


Et le moment fatidique est imminent. Malgré l’impasse entre les Etats-Unis et la Corée du Nord concernant la revendication coréenne de posséder des armes nucléaires les deux Corées ont déjà bien avancé en ce qui concerne la ZDM. Ces discussions ab
outiront sur un accord décidant du futur de cette zone. Deux lignes de chemin de fer et deux autoroutes sont déjà en voie de reconstruction dans ce couloir.


Le goral d’Amour, un animal entre la chèvre et l’antilope, menacé d’extinction. L’homme qui apprécie sa chair et fabrique des médicaments à partir des ses organes est son principal ennemi.

Ironiquement, cet avant-dernier pays communiste au monde a autorisé Hyundai, une multinationale, à contrôler le tourisme dans son magnifique parc national. Les voitures seront bientôt autorisées sur les routes traversant la ZDM. Des agriculteurs nord-coréens ont planté des cultures dans la ZDM au bord de l’autoroute de l’est et des maisons y ont été construites. La zone est aussi menacée par l’intense trafic ferroviaire qui revient beaucoup moins cher et est plus rapide pour le fret que la voie océanique. Une réconciliation accrue entre le Nord et le Sud augmenterait probablement le trafic maritime sur la rivière Han qui traverse la ZDM et viendrait menacer l’habitat des grues à cou blanc. Les écologistes du monde entier se mobilisent pour protéger l’écosystème de la ZDM et pour persuader les deux gouvernements qu’ils gagneraient plus à conserver la zone qu’à la bétonner et à l’urbaniser. Mais en auront-ils le temps ?

Publié dans Nature

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