Pérou : une métropole peut-elle mourir de soif ?
Le réchauffement climatique touche durement la capitale péruvienne, Lima. Considérée comme étant la ville la plus étendue sur un désert (avant Le Caire), la métropole de dix millions d'habitants est l'une des plus "sèches" au monde.
Le jardin d'enfants de Santa Rosita a l'air d'une oasis de couleur parmi les bâtiments gris et bruns de Huaycan, un bidonville de Lima, au pied des collines andines poussiéreuses. Derrière cette vitrine, la seule eau de Santa Rosita est celle qui est acheminée dans des seaux par les parents des 30 enfants, âgés de 3 à 5 ans, gardés ici. Cette eau, ils l'utilisent pour boire, se laver les mains et tirer la chasse des toilettes. Ces dernières sont en dehors du bâtiment, derrière leur salle de classe, dans un cabanon fait de planches de bois et d'un toit en tôle. Une partie de l'eau est traitée : elle est amenée par certains parents qui ont l'eau courante à la maison. Le reste ne l'est pas.
Ici, on ne s'étonne pas de voir que certains des jeunes sont d'une maigreur alarmante. Ils souffrent de malnutrition causée par les parasites de leur système digestif, qui les empêchent d'assimiler les nutriments qu'ils mangent. "L'un des enfants a la tuberculose, un autre a contracté une hépatite A deux semaines avant ma visite", déplore Elisa Riberto Guia, une enseignante de la crèche. Ces deux maladies sont directement liées aux conditions d'hygiène précaires. Tous les trois mois, les enfants doivent être dépistés pour les parasites et l'anémie.
"La SEDAPAL [l'autorité municipale liménienne pour l'eau] ne fait pas son travail", s'indigne Judy Simon Tolentino, dont la fille de quatre ans Adriana fréquente le jardin d'enfants.
"Comment peut-on ne pas donner la priorité au traitement de l'eau pour ces enfants ?". La réponse se situe peut-être dans l'histoire de Huaycan, 200.000 habitants, dont les premiers résidents, des immigrants venus des Andes, se sont installés ici dans les années 1980, en "squattant" les lieux. Dès lors, l'État péruvien, dont la SEDAPAL, s'est débrouillé comme il pouvait pour rattraper le retard de développement et fournir des services de base à la communauté.
Lima est à sec
Mais tout cela est également lié aux conditions arides qui sévissent le long de la côte péruvienne, bordant l'un des déserts les plus secs au monde. Lima reçoit en moyenne moins de 10 millimètres d'eau de pluie par an. L'eau est une ressource rare et ce sont les personnes les plus pauvres, comme les résidents de Huaycan, qui en sont le plus affectées, dans un secteur où la demande est bien supérieure à l'offre. Aujourd'hui, Lima doit faire face à une vague croissante de consommation, au moment où la fonte des glaciers andins et l'intensité des précipitations se sont quelque peu taries : un impact du réchauffement global. Avec ses 10 millions d'habitants - dont un million qui n'a pas l'eau courante -, Lima est la deuxième ville construite sur un désert la plus peuplée, après Le Caire.
Alors que le Nil traverse la capitale égyptienne avec un débit de 2.830 mètres cube par seconde, le Rio Rimac, la rivière polluée qui traverse Lima, fournit 80% de l'eau de la métropole, pour un débit d'environ 30 mètres cube par seconde… Dans le même temps, les précipitations annuelles qui arrosent les affluents du Rimac ont chuté pour atteindre 4.4 millimètres par an depuis 1970. Si ce niveau se maintient, le Rio Rimac sera à sec à la fin du XXIe siècle.
"Cela pourrait être un cycle naturel", commente l'hydrologue Waldo Lavado, du service météorologique national du Pérou, interrogé par GlobalPost. "Mais le changement climatique est l'une des principales hypothèses qui pourraient expliquer ce tarissement".
Entre bonne volonté et corruption
À l'heure actuelle, la demande en eau à Lima est de 23,45 mètres cube par seconde, selon la municipalité. Elle pourrait atteindre 47,43 mètres cube par seconde en 2040, du fait de la croissance économique et démographique. "Le changement climatique est un aspect très important dont nous devons tenir compte", déclare Yolanda Andia, chef de la production de la SEDAPAL. "Nous n'avons plus les 'nevados' [sommets enneigés] que nous avions avant, et qui aidaient à maintenir le niveau de l'eau durant la saison sèche".
Pour changer les choses, la SEDAPAL a investi près de 2 milliards de dollars dans de nouveaux projets. Elle prévoit de construire un réservoir géant, Huascacocha, à plus de 4.000 mètres dans les Andes qui devrait permettre à Lima d'augmenter sa capacité de stockage de l'eau d'1,5 million de mètres cubes. Néanmoins, de nombreux Liméniens mettent en doute la SEDAPAL et critiquent leur incompétence et la corruption qui semble y sévir. Susana Villaran, maire progressiste de Lima, a vu ses tentatives pour saisir devant la justice deux des cinq membres du bureau de la SEDAPAL avortées au congrès, par le groupe de droite, à majorité fujimoriste (ndlr. de l'ancien président péruvien Alberto Fujimori, champion du néolibéralisme dans les années 1990).
Gunther Merzhal, du département municipal de l'environnement, souligne que Villaran n'a que peu de marge de manoeuvre pour faire accélérer les choses dans des endroits comme Huaycan : "nous avons les mains liées", confie-t-il.
Le Président Humala tarde à tenir ses promesses
Ainsi, alors que les riches résidents liméniens s'abreuvent d'eau courante potable, ceux qui vivent dans les bidonvilles, sans connexion au réseau d'eau, paient vingt fois plus - environ 10 dollars par mètre cube (8 Euros) - pour de l'eau non traitée, livrée par des camions citernes privés, hors du contrôle étatique. Au bout de la chaîne, Santa Rosita, ce jardin d'enfant, propriété de l'État, fait partie du programme PRONOEI destiné aux jeunes en situations d'extrême pauvreté. La réalité est toute autre. Presque l'ensemble du jardin d'enfant, dont le bâtiment lui-même, a été créé par les parents. L'enseignante, Mme Ribero Guia gagne un salaire mensuel de 332 soles (100 Euros) - autrement dit, comme elle le qualifie elle-même : "un pourboire".
Le Président Ollanta Humala a pris le pouvoir au Pérou l'an dernier, avec la promesse de renforcer la structure étatique pour ses concitoyens, laissée à l'abandon par ses prédécesseurs. Mais jusqu'à lors, à Huaycan, à 90 minutes du centre de Lima, bien peu d'habitants peuvent respirer à nouveau. Mme Ribero Guia a tenté de nombreuses fois d'obtenir une conduite d'eau pour Santa Rosita. Mais sans un titre de propriété du terrain, elle ne peut rien obtenir. Les autorités locales requièrent la preuve légale de l'occupation des lieux : un magma bureaucratique qui problématise l'occupation illégale de ceux qui ont précédé les habitants actuels.
Pour obtenir aujourd'hui une reconnaissance de l'État, les habitants devraient faire dessiner des plans de leurs bâtiments par un bureau d'architecte, à un coût de 600 dollars (environ 500 euros) : une somme exorbitante pour les résidents de Huaycan. "Comment sommes nous censés payer cela ?" demande l'enseignante. "Nos enfants tombent malades, les frais de soins ne sont-ils pas déjà assez chers ?" Pendant ce temps-là, de nouveaux arrivants affluent des Andes vers Huaycan, occupant le terrain de plus en plus haut sur la colline, de plus en plus loin du système hydrologique.
Les sources d'eau de Lima diminuent, et avec la SEDAPAL qui lutte déjà pour satisfaire la demande actuelle, il y a peu de chances que les habitants de Huaycan obtiennent un jour de l'eau courante, traitée.