Pollution de l'eau potable confirmée à proximité d'exploitations de gaz de schistes
Fin septembre 2012 se tenait une conférence sur les gaz de schistes "The changing outlook for U.S. energy : will shale gas transform America's future ?". Organisée par le "Howard Baker Forum" et le "Lawrence Livermore National Laboratory", cet évènement a rassemblé les principaux décideurs dans le secteur du gaz de schistes : hommes politiques, économistes, experts académiques et industriels. Les intervenants ont porté un message globalement rassurant sur la fracturation hydraulique, estimant que les pollutions qui avaient pu être liées aux exploitations de gaz de schistes étaient associées à de mauvaises pratiques ou à une insuffisante réglementation.
Au même moment, l'Institut d'études géologiques des Etats-Unis (United States Geological Survey - USGS) a publié les résultats de l'analyse de sources d'eau potable à Pavillion, au Wyoming[1], une région où opèrent de nombreuses exploitations de gaz de schistes. Les tests montrent la présence d'importantes concentrations de gaz comme l'éthane, le propane ou le diesel, dans une eau supposée être potable, ce qui a relancé le débat sur l'impact environnemental et sanitaire de la fracturation hydraulique.
Ces résultats viennent confirmer ceux obtenus par l'Agence de protection de l'environnement américaine (Environmental Protection Agency - EPA) lors d'une étude préliminaire publiée l'année dernière[2]. Cette étude établissait un lien entre les liquides utilisés pour la fracturation et la pollution des ressources d'eaux souterraines. Ces premiers résultats indiquaient déjà la présence de produits chimiques de synthèse, de benzène et de méthane, en concentration bien supérieures aux niveaux autorisés par la réglementation américaine ("Safe Drinking Water Act"). Ces travaux avaient été validés par une étude indépendante en avril dernier[3], mais la confirmation des résultats par l'USGS est d'autant plus importante que l'administration de l'état du Wyoming et l'industrie du gaz et du pétrole, qui avaient critiqué la méthode utilisée par l'EPA, ont cette fois-ci participé à l'élaboration du protocole.
L'EPA avait obtenu des résultats similaires dès 2010 à la suite d'inquiétudes exprimées par les habitants de la région de Pavillion au sujet de la qualité de leur eau. En liaison avec le Ministère de la santé, et l'Agence des substances toxiques et des maladies (Department of Health, Agency for Toxic Substances and Disease Registry), l'EPA avait alors mis en place des recommandations pour les détenteurs de puits de Pavillion[4], les incitant à alterner leurs sources d'eau à usage domestique et à demander l'installation d'un système de ventilation dans les salles d'eau des particuliers. La société canadienne Encana, qui détient les droits d'exploitation de gaz de schistes à Pavillion, avait alors nié toute responsabilité dans une éventuelle pollution, mais s'était néanmoins engagée à prendre en charge les coûts engendrés par l'achat d'eau minérale.
Les résultats de l'USGS ne précisent pas la cause de la pollution observée au Wyoming mais ils relancent un débat en cours depuis plusieurs années aux Etats-Unis sur l'impact de la fracturation hydraulique sur la qualité de l'eau potable à proximité des zones d'exploitation. L'industrie du gaz de schiste a toujours réfuté tout lien de causalité entre le liquide de fracturation et la pollution observée. Les associations environnementales citent néanmoins plusieurs cas dans lesquels l'eau d'une région s'est trouvée fortement polluée à la suite d'exploitations de gaz de schistes (au Wyoming et en Pennsylvanie notamment .
L'EPA, qui, en application de la loi fédérale sur l'eau (Safe Drinking Water Act), est responsable de la protection de la qualité de l'eau potable, n'a pas autorité en matière d'injections hydrauliques pour l'exploitation de gaz - sauf si celles-ci comportent du diesel -, en dépit de l'exemption controversée votée par le Congrès en 2005[7]. Cette loi s'appuyait alors sur une étude de l'EPA publiée en 2004 et qui se limitait à l'étude des gisements de gaz méthane d'origine houillière ("coalbed methane"), qui concluait à l'absence d'impact sur les réserves d'eau souterraines . Depuis, l'EPA a estimé qu'il était nécessaire de mener une étude sur les impacts environnementaux de la fracturation hydraulique. Les premiers résultats sont prévus d'ici la fin de l'année et les conclusions définitives pour 2014
Le fluide utilisé lors de la fracturation hydraulique est principalement composé d'eau et d'agent de soutènement (près de 99% en volume), auxquels sont ajoutés des produits chimiques pour améliorer l'efficacité de la fracturation. Si la composition de ce fluide varie selon les exploitations et relève du secret pour les exploitants, il se compose généralement de dizaines de produits chimiques différents (solvants, émulsifiants, acides, ...), dont certains sont reconnus comme cancérigènes ou toxiques. De nombreuses recherches sont actuellement conduites pour améliorer ce fluide et le rendre plus "écologique". A titre de démonstration de l'innocuité de son produit, le PDG d'Halliburton a récemment bu en public un verre de liquide de fracturation utilisé par sa société[10].
Les risques potentiels de pollution des nappes phréatiques liés à la fracturation hydraulique sont de plusieurs ordres. Tout d'abord, le processus de fracturation requiert des quantités très importantes d'eau: de 10 000 à 15 000 mètres cubes d'eau par puits soit l'équivalent de la consommation annuelle d'une centaine de personnes. Une telle demande pourrait donc entrer en conflit avec les besoins en eau potable des habitants d'une région. Dans les régions sans réserves en eau suffisamment importante, le transport de l'eau en camions-citernes -ce qui peut nécessiter jusqu'à 4 000 allers retours de camions par puits- est une source de pollution de l'air et de nuisances pour les populations (dégradations des infrastructures routières non adaptées, nuisances sonores, poussières, ...).
Par ailleurs, la totalité du fluide de fracturation ne peut actuellement être récupérée, et une partie de l'eau contaminée se retrouve donc bloquée sous la surface. En principe, cette eau est à un niveau plus profond que celui des nappes phréatiques et les couches géologiques étanches les séparant empêchent la propagation des polluants. Quant au traitement des effluents, la question n'est guère plus simple puisqu'il faut dépolluer des quantités d'eau très importantes, pour éliminer des dizaines de produits chimiques. De plus, lors de la fracturation de la roche, des éléments radioactifs, présents dans la roche, peuvent se détacher et contribuer à la pollution de l'eau. Les stations de traitement des eaux traditionnelles ont rarement la capacité de traiter de tels produits et de telles quantités d'eau. Or, un mauvais traitement de ces eaux polluées a des conséquences dramatiques pour la qualité de l'eau en aval et donc à terme pour l'eau potable des régions avoisinantes.
D'autres risques sont également évoqués au cours du procédé de fracturation. En cas de rupture d'étanchéité du tubage réalisé dans le puits, une fuite de méthane peut survenir et remonter vers les nappes phréatiques (ce qui n'est pas répertorié dans la réglementation comme un danger direct pour la santé, mais rend l'eau très inflammable. De même, une fuite du liquide de fracturation pourrait polluer les nappes phréatiques. Si l'utilisation de ce fluide n'est selon les études actuelles, pas dangereuse, parce que libéré à une grande profondeur, une fuite ou le non-respect des précautions nécessaires au procédé de fracturation pourraient entraîner une telle fuite. Enfin, dans le cas d'un accident en surface, le liquide de fracturation peut polluer les eaux de surface et les terres avoisinantes. L'étude de l'EPA devrait permettre de comprendre plus précisément les risques et d'adopter des réglementations plus appropriées au niveau des états ou au niveau fédéral.