Séralini prié de retirer son article sur un maïs OGM. Il refuse.
La revue Food and chemical toxicology veut retirer l’article du Pr Séralini sur les rats nourris au maïs OGM NK603 paru en septembre 2012. Le chercheur contre-attaque : pourquoi ne pas rétracter aussi l'article de Monsanto de 2004 sur le même sujet ?
Il a battu le rappel de ses soutiens scientifiques et politiques… Tout un symbole. C’est entouré notamment de Paul Deheuvels, statisticien de l'Académie des sciences et de Corinne Lepage, députée du Parlement européen que ce 28 novembre, lors d'une conférence de presse à Bruxelles, le professeur Gilles Eric Séralini, de l’université de Caen défendra un article retentissant sur un OGM publié l’an dernier et menacé aujourd’hui de rétractation.
Suivez en direct de Bruxelles la conférence de presse de Gilles-Eric Séralini qui commence à 10h30
Il y suggérait que les rats nourris une vie entière au maïs OGM NK603, tolérant à l’herbicide Roundup et fabriqué par la firme américaine Monsanto, développaient plus de pathologies et tumeurs (lire S. et A. n°789 et 791 - voir aussi article en ligne). La médiatisation du papier en septembre 2012 avait provoqué l’émoi du public et des politiques, une polémique dans la communauté scientifique ainsi qu’un questionnement critique sur les procédures d’évaluation des plantes génétiquement modifiées actuellement en vigueur (À venir : notre article "ce que « l’affaire Séralini » a changé").
Il y a quelques jours, l’éditeur en chef de la revue Food and Chemical Toxicology (Groupe Elsevier) qui avait initialement publié l’article, a prié le professeur Séralini de bien vouloir le rétracter, c’est-à-dire de le retirer lui-même.
Motif ? « Les résultats présentés sont peu concluants et n’atteignent donc pas le seuil de la publication » et « il y a une raison légitime d’inquiétude concernant à la fois le nombre d’animaux testés dans chaque groupe et la souche particulière (de rats, NDLR) sélectionnée » explique t-il dans une lettre au chercheur de l’université de Caen auquel Sciences et Avenir a pu avoir accès.
"MÉRITE". L’éditeur de FCT y admet que « le problème du faible nombre d’animaux avait été identifié lors de du processus initial d’examen du papier par le comité de lecture» mais qu'il avait été décidé finalement de le publier parce que ce travail « gardait du mérite malgré ses limites ». Il semblerait donc que la politique éditoriale de la revue ait changé.
Louant « la bonne volonté, l’ouverture » de Gilles Eric Séralini qui a fourni ses données brutes pour répondre aux critiques soulevées par son article, l’éditeur souligne enfin, qu’après les avoir rigoureusement et longuement étudiées, les relecteurs n’ont détecté « aucune fraude, ni manipulations de données ».
Le professeur Séralini refuse aujourd’hui de rétracter son article. Il argue comme depuis des mois que la souche de rats incriminée (les Sprague-Dawley) est utilisée en routine aux États-Unis - y compris parfois par Monsanto- pour étudier la carcinogénèse et la toxicité chronique des produits chimiques. Il rappelle qu’il a mené une étude inédite sur des rats nourris une vie entière avec ce maïs OGM et que s’il n’a utilisé que dix rats par groupe, il a en revanche multiplié les mesures sur ces animaux.
« La perturbation des hormones sexuelles et d’autres paramètres sont suffisants dans notre cas pour interpréter un effet sérieux après une année » proteste t-il, demandant que l’on prenne en compte « la chronologie et le nombre des tumeurs par animaux ».
DOUBLE STANDARD ? Autant de signes qui devraient être considérés dans une réelle étude de risques, selon lui. Par ailleurs, le chercheur pointe un papier de Monsanto de 2004, publié dans la même revue FCT et jamais rétracté, concluant à l’innocuité du maïs NK 603 après avoir mesuré ses effets sur dix rats Sprague-Dawley seulement pendant trois mois. Et de s’interroger : y aurait-il un double standard d’évaluation en vigueur ?
« Seules les études pointant un effet adverse des OGM sont passées au crible d’une évaluation rigoureuse sur leurs méthodes expérimentales et statistiques, accuse t-il. Tandis que celles qui affirment leur innocuité sont prises pour argent comptant ».
Dernier pavé dans la mare : le biologiste s’apprêterait à contester la façon dont sont actuellement menées les analyses statistiques sur les rats testés, car elles seraient faussées par les données historiques. Selon une étude qu’il aurait mené avec son équipe, tous les cobayes de laboratoires ont toujours été exposés dans leur cage et via leur nourriture à des polluants (pesticides, mercure, cadmium, perturbateurs endocriniens) puis possiblement des OGM de sorte qu’il était alors impossible de distinguer les tumeurs spontanées, naturelles, des tumeurs induites par ces substances, et ce quel que soit le nombre de rats testés…
SOUFFLER SUR LES BRAISES. Conduire des tests sur de grosses cohortes de 50 rats par groupe, par exemple, serait dès lors inutile. Bref, l’ultime défense consiste à jeter le doute sur la pertinence de nombres de travaux menés jusqu’à présent. Cette affirmation –qui demanderait à être sérieusement étayée- provoquera sans nul doute une vague de protestation. Les éditeurs de la revue Food and chemical toxicology espéraient peut-être éteindre la controverse, il se pourrait qu’ils aient au contraire soufflé sur les braises.