« Un taux de leucémie infantile anormalement élevé autour de 10 centrales nucléaires françaises »
Suite à la publication d’un rapport de l’INSERM mettant en évidence un taux de leucémie infantile anormalement élevé autour des centrales nucléaires françaises, le Journal de la Science a rencontré Jacqueline Clavel, qui a dirigé cette étude.
Comment avez-vous procédé pour obtenir ce résultat ?
Jacqueline Clavel (1) : Nous avons pris les 2 753 cas de leucémies survenus entre 2002 et 2007 chez des enfants de moins de 15 ans. Puis nous les avons géolocalisés, afin de repérer ceux qui résidaient à moins de 5 km d’une centrale. Résultat ? Nous avons découvert que sur les 2 753 cas répertoriés en France de 2002 à 2007, 14 concernaient des enfants habitant à moins de 5 km d’une centrale.
Or, si l’on se fie au risque attendu, c’est-à-dire la valeur calculée sur la base de l’incidence nationale de cette maladie, nous aurions du trouver seulement 7,4 cas. Sur la période 2002-2007, il y a donc un doublement significatif de l’incidence des leucémies chez les enfants habitant à proximité des centrales nucléaires par rapport à l’incidence nationale.
Ce doublement de l’incidence des leucémies est-il présent à proximité de toutes les centrales nucléaires françaises ?
Jacqueline Clavel : Non. Les 14 cas de leucémie survenus à proximité d’une centrale concernent 10 centrales, sur les 19 que nous avons étudiées. Ceci est d’ailleurs intéressant. Car cela montre que les cas de leucémies ne se concentrent pas sur une ou deux centrales, ce qui aurait alors posé la question d’un dysfonctionnement chez ces centrales. Ici, nous voyons bien que ces cas se répartissent sur un grand nombre de centrales – plus de la moitié du total étudié. Ce qui exclut la possibilité d’un dysfonctionnement affectant une ou deux centrales nucléaires en particulier
Les centrales nucléaires sont-elles les responsables de l’augmentation de ces leucémies ?
Jacqueline Clavel : A l’heure actuelle, rien ne permet de l’affirmer, et cela pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, il se trouve que de 2002 à 2007, soit la période que nous avons étudiée, l’exposition des personnes habitant à proximité des centrales nucléaires aux rejets de gaz radioactifs issus ces centrales a baissé par rapport à la période 1990-2001. Pourquoi cela est-il intéressant ? Car les études menées sur la période 1990-2001 montrent qu’il n’y a pas eu d’augmentation de l’incidence des leucémies chez les enfants habitant à proximité des centrales, alors que les rejets radioactifs étaient pourtant plus importants. Ceci réduit donc fortement la possibilité que les rejets gazeux des centrales nucléaires soit à l’origine de la forte incidence de leucémies mise en lumière par notre dernière étude.
Ensuite, il faut bien voir qu’il existe en France des lieux où la radioactivité naturelle est jusqu’à 1000 fois plus forte que celle présente autour des centrales nucléaires. Pourtant, cela ne se traduit pas forcément par une incidence plus élevée des cas de leucémie.
Enfin, il faut noter que le nombre de cas dont nous parlons ici est très faible : il s’agit de 14 cas. Il est donc difficile de tirer des conclusions définitives sur base aussi réduite.
Pourtant, des études menées en Allemagne et en Grande-Bretagne ont, elles aussi, noté une augmentation de l’incidence des leucémies infantiles à proximité des centrales nucléaires…
Jacqueline Clavel : C’est vrai. Mais concernant l’Allemagne, l’augmentation de l’incidence des leucémies infantiles concerne essentiellement la centrale de nucléaire de Krümmel. Les autres centrales ne sont pas concernée. Autour de la centrale de Krümmel, les cas de leucémie infantile ont effectivement fortement augmenté à partir du début des années 90, générant une grande inquiétude dans la population [NDR : Lire par exemple "D'inexplicables leucémies près d'une centrale nucléaire allemande"]. Mais les études menées pour essayer de comprendre l’origine de ce phénomène n’ont pas permis d’élucider le mystère [NDLR : Lire l'étude "Childhood Leukemia in the Vicinity of the Geesthacht Nuclear Establishments near Hamburg, Germany"].
Quant à la Grande-Bretagne, il est vrai que dans les années 1980 et 90, quelques centrales comme celle de Sellafield ont elles aussi concentré un phénomène analogue à celui de Krümmel en Allemagne, en générant un taux de leucémie infantile anormalement élevé dans leur entourage. Mais là encore, les problèmes se concernaient une ou deux centrales, et non sur l’ensemble du parc britannique. Qui plus est, en mai 2011, une étude très détaillée publiée par le COMARE (Committee on Medical Aspects of Radiation in the Environment) a conclu qu’en Grande-Bretagne, le risque de leucémie infantile n’est pas renforcé par la proximité de centrales nucléaires [NDLR : lire sur le site de Nature "Nuclear power plants cleared of leukaemia ].
Mais alors, quelle serait la cause de ce taux de leucémie infantile anormalement élevé à proximité des centrales ?
Jacqueline Clavel : Nous pensons que cela provient d’autres facteurs indépendants de la présence des centrales, même si cela doit bien entendu être exploré plus en détail. Ces leucémies pourraient être ainsi causées par la présence de lignes à haute tension, par l’usage de pesticides, par l’existence de foyers infectieux causés par des brassages de population, ou encore par la proximité de sites industriels classés SEVESO.
Toutes ces hypothèses sont d’ailleurs explorées depuis plusieurs années par le projet Geocap [NDLR : lire un descriptif du projet Geocap sur le site de l'INSERM] dont l’objectif est d’analyser le rôle de l’environnement dans les cancers de l’enfant. Les résultats que nous venons de publier sur le taux de leucémie infantile anormalement élevé autour des centrales nucléaires françaises sont d’ailleurs issus du projet Geocap.
(1) Jacqueline Clavel est directrice de recherche INSERM. Elle dirige l’Unité INSERM U754.