C’est la rumeur qui enflamme la Toile depuis plusieurs semaines : les écosystèmes de la planète pourraient connaître un effondrement total et irréversible d’ici 2100. A l’origine de cette prophétie apocalyptique, non une secte d’illuminés, un médium en manque de publicité ou le dernier blockbuster américain en vogue. Non, l’allégation est issue d’une étude de la très sérieuse revue Nature, référence parmi les publications scientifiques. La thèse ? L’environnement, sous l’effet des dégradations causées par l’homme, pourrait franchir un point de non-retour avant la fin du siècle.
Dans Approaching a state-shift in Earth’s biosphere, les auteurs, 22 chercheurs appartenant à une quinzaine d’institutions scientifiques internationales, alarment sur une perte de la biodiversité de plus en plus rapide et une accélération des changements climatiques.
Selon l’étude, presque la moitié des climats que nous connaissons aujourd’hui sur la Terre pourraient bientôt avoir disparu. Ils seraient ainsi remplacés, sur entre 12 % à 39 % de la surface du globe, par des conditions qui n’ont jamais été connues par les organismes vivants. Et ce changement s’effectuerait de manière brutale, empêchant les espèces et écosystèmes de s’y adapter.
Les bouleversements des milieux naturels ont toujours existé, rappelle l’étude, que ce soit à une échelle locale – au niveau des bassins ou des récifs coralliens par exemple -, régionale – il y a 5 500 ans, le Sahara était constitué de prairies fertiles – ou planétaire. La Terre a ainsi connu sept grandes crises : l’explosion cambrienne, il y a 540 millions d’années, les cinq extinctions massives qui ont anéanti pour certaines jusqu’à 90 % de la vie sur Terre et le passage de la dernière période glaciaire à notre époque, il y a 12 000 ans.
Mais alors que l’explosion cambrienne et le réchauffement de l’Holocène ont été déclenchés par des catastrophes naturelles, des changements dans la composition des océans et de l’intensité solaire, une nouvelle pression est aujourd’hui exercée sur les écosystèmes : celle de 7 milliards d’êtres humains – et 9 milliards en 2050.
« A l’époque où la planète est passée d’une période glaciaire à celle actuelle, interglaciaire, des changements biologiques des plus extrêmes sont apparus en seulement mille ans. A l’échelle de la Terre, c’est comme passer de l’état de bébé à l’âge adulte en moins d’une année. Le problème, c’est que la planète est en train de changer encore plus vite aujourd’hui« , explique Arne Moers, co-autrice de l’étude et professeure en biodiversité à l’université Simon Fraser de Vancouver.
Et la chercheuse de poursuivre : « La planète ne possède pas la mémoire de son état précédent. Nous prenons un énorme risque à modifier le bilan radiatif de la Terre : faire basculer brutalement le système climatique vers un nouvel état d’équilibre auquel les écosystèmes et nos sociétés seront incapables de s’adapter. [...] Le prochain changement pourrait être extrêmement destructeur pour la planète. Une fois que le seuil critique sera dépassé, il n’y aura plus de possibilité de revenir en arrière. »
D’après l’étude, ce seuil correspondrait à l’utilisation de 50 % des ressources terrestres. Or, aujourd’hui, 43 % des écosystèmes terrestres sont déjà utilisés pour subvenir aux besoins des hommes. Un tiers de l’eau douce disponible est par ailleurs détourné pour un usage humain. Les taux d’extinction des espèces sont à des sommets jamais atteints durant l’ensemble de l’évolution humaine – de 10 à 100 fois le rythme naturel d’extinction constaté par les scientifiques sur une période de 500 millions d’années, alors qu’il pourrait être bientôt 10 000 fois supérieur. Et les émissions de CO2 ont augmenté de 35 % depuis l’ère pré-industrielle du fait de la combustion d’énergies fossiles.
L’évolution de l’utilisation des sols au cours des siècles, alors que la population mondiale augmente :
« Au vu de ces éléments, on peut affirmer qu’un basculement est très plausible au cours du siècle prochain », assure Anthony Barnosky, paléobiologiste à l’université de Californie à Berkeley. Toutefois, d’importantes incertitudes demeurent : « Il s’agit de savoir si ce changement planétaire est inévitable et, si oui, dans combien de temps il surviendra. »
Une prudence partagée par nombre de scientifiques qui ont lu l’étude. Pour Brad Cardinal, biologiste à l’université du Michigan, interrogé par le magazine américain Wired, cette recherche est probante mais pas concluante : « Ce n’est pas la première fois qu’une étude du genre est publiée. Seul le temps nous permettra de savoir si ces résultats se vérifient ou pas. » « Il faut se méfier de l’interprétation qui en est faite dans certains médias, selon lesquels la Terre pourrait ne pas atteindre le XXIIe siècle. La planète ne va pas disparaître avant 4 milliards d’années et elle restera habitable bien longtemps encore. Mais les dégradations en cours vont affecter nos conditions de vie », tempère de son côté le climatologue Jean-Pascal van Ypersele, vice-président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) dans une interview au magazine belge Le Vif/L’Express.
Reste qu’un véritablement changement des modes de vie est nécessaire et urgent. Les 22 scientifiques de l’étude proposent aux gouvernements d’entreprendre quatre actions immédiates : diminuer radicalement la pression démographique ; concentrer les populations sur les zones enregistrant déjà de fortes densités afin de laisser les autres territoires tenter de retrouver des équilibres naturels ; ajuster les niveaux de vie des plus riches sur ceux des plus pauvres ; développer de nouvelles technologie permettant de produire et de distribuer de nouvelles ressources alimentaires sans consommer davantage de ressources.