Huile de palme : la déforestation va se poursuivre
Le développement des plantations de palmiers à huile est à l’origine d’une déforestation massive en Indonésie et en Malaisie, les deux premiers producteurs mondiaux. Dès à présent, et après avoir favorisé l’essor des économies d’Asie du Sud-Est au prix de cette dévastation, le palmier à huile fait son grand retour en Afrique.
extension de la déforestation sur l'île de Bornéo
Pour des raisons environnementales en effet, les grands producteurs asiatiques d’huile de palme ne peuvent plus étendre en toute liberté leurs plantations en Indonésie et en Malaisie, qui fournissent les quatre cinquièmes de la production mondiale. Or, la demande en huile de palme des pays du Sud, Chine et Inde en tête, qui consomment plus de 80 % de la production, est en forte progression. Et au Nord, les Etats-Unis et l’Europe accroissent quant à eux leur demande de 13 % chaque année depuis 2000.
L’industrie agro-alimentaire s’inscrit en tête de la demande avec 80 % de la consommation, suivie par l’industrie cosmétique, 19 %, et enfin les carburants, 1 %. La consommation d’un Européen est d’environ 60 kilos/an d’huile de palme, la consommation mondiale s’élevant à une vingtaine de kilos/an par personne.
Cette huile est aujourd’hui la plus consommée au monde (plus de 30 % du total des huiles végétales produites), devant l’huile de soja (24 %), de colza (12 %) et de tournesol (7 %). La production a été multipliée par deux tous les 10 ans depuis 30 ans pour atteindre près de 50 millions de tonnes cette année.
Et suite à la croissance démographique et au développement des agro-carburants dans le monde, on prévoit une augmentation de la demande en huile de 30 % d’ici 2020.
Déforestation
Au cours de la dernière décennie, ce sont chaque année 13 millions d’hectares de forêt qui ont été rasés de la surface de la planète, selon la FAO. Nul ne l’ignore plus, le binôme commerce du bois – exploitation du palmier à huile (Elaeis guineensis) est le premier responsable de ce désastre, orchestré par ces deux industries avec l’agrément des Etats.
Les palmeraies sont des monocultures cultivées sur des terres déboisées et exploitant une main d’œuvre bon marché. Elles surexploitent et empoisonnent les réserves en eau, en utilisant engrais et pesticides. Au bout de vingt ans d’exploitation, il ne subsiste rien qu’un sol dégradé.
Les plantations familiales représentent encore 60 % du secteur des plantations à l’échelle mondiale. Le reste des palmeraies est essentiellement exploité par de grands groupes d’envergure internationale, comme le malaisien Sime Darby, ou l’indonésien Sinar Mas, tous les deux sous le contrôle de capitaux chinois. Les multinationales occidentales de l’agro-alimentaire, comme Unilever (premier consommateur d’huile de palme au monde jusqu’en 2010), Procter & Gamble, Nestlé ou Cargill se sont retirées de la production et font maintenant appel à ces fournisseurs.
L’Indonésie, pratiquement rasée
En Indonésie, 90 % des forêts ont été déboisés à cause du commerce du bois puis de la conversion en palmeraies. Selon une étude de la Banque Mondiale, 1,8 millions d’hectares de forêt vierge y sont rasés chaque année et, toujours selon cette étude, en ce qui concerne l’île de Bornéo, au rythme actuel, l’ensemble des forêts de plaine, hors zones protégées, auront disparu dans les 10 années à venir.
Bien sûr, cette déforestation est responsable de l’expropriation des populations locales, qui les prive de leur principale ressource. Bien souvent, celles-ci n’ont d’autre choix que de céder leur territoire ancestral à des investisseurs étrangers qui s’installent avec l’aide des pouvoirs politiques, voire de l’armée si nécessaire. Les rapports du World Rainforest Movement et les associations comme Survival International font état de menaces, de violences, de violations des droits de l’homme et de destructions de propriétés.
Ces forêts sont pourtant le refuge d’une rare biodiversité (l’Indonésie abrite de 10 à 15 % des plantes, mammifères et oiseaux connus au monde). Certaines espèces animales, dont les emblématiques orangs-outans, les éléphants, et les tigres de Sumatra, sont directement menacées de disparition à court terme.
En dépit de cela, et selon un rapport du WWF, le gouvernement prévoit encore un plan d’extension de 14 millions d’hectares dévolus à la plantation de palmiers à huile, investissant quant à lui 5,6 milliards de dollars pour créer la plus grande palmeraie du monde, d’une superficie de 1 million d’hectares. Et l’Association indonésienne des producteurs d’huile de palme a annoncé que les exportations augmenteront significativement en 2012, tirées essentiellement par les besoins croissants des pays émergents.
L’Afrique, nouvelle frontière pour la culture du palmier à huile
Vaste réserve de terres fertiles, l’Afrique est aussi un grand marché de consommation d’huile de palme, et une tête de pont idéale vers les marchés du Maghreb et d’Europe. Nombre de gouvernements africains approchés par les industriels de la filière sont séduits par les revenus d’exportation potentiels. C’est pourquoi les projets d’implantation se multiplient depuis quelques mois.
Le Singapourien Olam a monté avec le gouvernement gabonais une co-entreprise qui vise à étendre le palmier à huile sur 300.000 hectares. Quant au Malaisien Sime Darby, après avoir obtenu une concession de 63 ans au Liberia, sur une surface équivalente, il envisage de s’implanter également au sud-ouest du Cameroun, où les communautés villageoises craignent la disparition de 60.000 hectares de forêt.
Jusqu’en 1965, le Nigeria était le premier exportateur mondial d’huile de palme, dont il assurait 30 % des exportations mondiales (un tiers de la production totale du pays). Mais, depuis 1985, la Malaisie a pris la première place et le Nigeria est devenu importateur. Aujourd’hui, le gouvernement souhaite relancer la filière mais les investisseurs privés traînent les pieds.
La Côte d’Ivoire possède également une palmeraie vieille d’un demi-siècle, composée de 69 % de plantations villageoises et traditionnelles et 31 % de plantations industrielles. La filière y fait vivre directement ou indirectement plus de deux millions de personnes. Villageois et industriels procèdent en ce moment au renouvellement des palmiers des friches existantes. Avec un rendement de quatre tonnes d’huile de palme par hectare (contre sept à neuf en Asie du Sud-Est), leur objectif est d’augmenter la rentabilité, afin de rattraper celle des pays asiatiques.
Une forte demande intérieure et le faible volume de production par rapport aux géants du sud-est asiatique font que l’huile de palme ivoirienne pénètre difficilement les principales zones d’importations que sont l’Europe, l’Inde et la Chine. Et sur le marché interne et sous-régional, elle subit la concurrence déloyale des huiles importées frauduleusement.
Dans les années 1920, c’est le Congo belge qui abritait la plus grande plantation, celle des frères Lever, qui ont donné leur nom à l’une des plus puissantes multinationales. Aujourd’hui, le palmier à huile revient donc en force en Afrique, d’où il provient, après avoir été implanté en Asie, avec les conséquences que l’on sait.