A perte de vue, en Illinois, des champs de maïs sont dévastés, les épis flétris, inconsommables. En Oklahoma, étangs et petits lacs sont quasi asséchés, vidés parfois jusqu'à 90 % de leur eau douce. Dans 1 000 comtés (cantons) américains, des fermiers assistent, désemparés, à l'effroyable dessèchement de leurs terres arables et de leurs pâturages, dégradés "à un point rarement observé depuis dix-huit ans", indique l'Agence océanique et atmosphérique nationale américaine, la NOAA. Cette sécheresse est "sans doute la plus grave depuis 25 ans" a affirmé le secrétaire à l'agriculture, Tom Vilsack, mercredi 18 juillet, après avoir rencontré le président Barack Obama pour évoquer cette crise.
Le secrétaire à l'agriculture a également décrété l'état de catastrophe naturelle dans 26 Etats, dont 14 touchés de manière jugée exceptionnelle. Journal historique de l'Indiana, le News Sentinel indiquait, le 16 juillet, que les services météorologiques de cet Etat prévoyaient le plus bas niveau de pluies d'été depuis cent quarante ans.
L'absence de précipitations (l'Indiana n'a pas reçu la moitié de ses pluies moyennes sur les trois derniers mois) ajoutée à des chaleurs hors normes — mardi 17 juillet, il faisait 38ºC à Chicago (Illinois), 39ºC à Saint Louis (Missouri) — a transformé ces Etats en "fournaises", selon le terme d'Alex Prud'homme, auteur du livre The Ripple Effect ("L'effet d'entraînement", Scribner ed., 2011) sur les risques d'épuisement de l'eau douce.
LE CAS DU MAÏS EST SYMPTOMATIQUE
La sécheresse frappe fort dans trois zones. A l'Est, les Etats côtiers du Sud (Floride, Géorgie et, dans une moindre mesure, Caroline du Sud), au centre le long d'un axe Nord-Sud (Illinois, Iowa, Indiana, Kentucky, Tennessee) et enfin dans une vaste zone couvrant plus de la moitié du Grand Ouest américain (Kansas, Oklahoma, Texas, Wyoming, Colorado, Utah, Nevada, Arizona, Nouveau-Mexique).
La Floride connaît des incendies qui, au 15 juillet, dépassaient déjà la moyenne pour tout l'été des vingt dernières années. L'Arizona affronte les feux de forêts les plus importants jamais recensés. Le 13 juillet, la dernière estimation hebdomadaire du National Weather Service (NWS, météo nationale) a fait passer le territoire américain touché "modérément à gravement" par la sécheresse de 56 % à 61 %. Des climatologues craignent un été plus dévastateur que jamais, les incendies d'été de forêts et de champs étant en augmentation constante ces dernières années.
Dans la "Corn Belt" — la "ceinture" des Etats producteurs de maïs (Illinois, Iowa, Missouri et l'Est du Nebraska et du Kansas) —, le territoire entré en "sécheresse intense" a augmenté de 50 % dans la seule semaine écoulée. Le maïs est le cas le plus symptomatique des conséquences déjà désastreuses pour les agriculteurs américains et, au-delà, pour l'alimentation locale et mondiale. Le NWS estime que, dans les 17 Etats américains producteurs de maïs, la proportion des plants jugés dans un état "bon à excellent" est tombée de 40 % à 31 % seulement sur la semaine écoulée. Alors que 2011 avait constitué une année record pour la récolte du maïs (avec une recette de 76,5 milliards de dollars, soit 62,3 milliards d'euros), le département de l'agriculture s'attend cette année à une réduction d'au moins 18 %, le maïs étant plus atteint par la sécheresse que le blé ou le soja.
Le sujet est extrêmement sensible pour les producteurs américains, les premiers au monde (et aussi les premiers exportateurs). "Pour le fermier, à quoi sert-il que le prix du boisseau [25,4 kg] dépasse les 7 dollars s'il n'a plus de maïs ?", interrogeait mardi Ann Duigan, analyste chez JP Morgan, sur Bloomberg TV. L'affaire est également sensible pour les assureurs, qui provisionnent en prévision d'importants frais exceptionnels.
LE PRIX DES MATIÈRES PREMIÈRES AGRICOLES GRIMPE
Elle l'est enfin pour les consommateurs. Un exemple : Sanderson Farms, troisième producteur américain de poulets en batteries, indique que chaque hausse de 10 cents du boisseau de maïs se répercute à hauteur de 2,20 millions de dollars sur ses coûts de production. Or, sur le seul mois de juin, le boisseau pour livraison en décembre a augmenté de 2,50 dollars, soit... 25 fois plus.
Ces surcoûts sont évidemment répercutés sur l'assiette du consommateur ou le portefeuille de l'importateur. Selon le département américain de l'agriculture (DoA), le prix moyen du kilo de poulet sur l'étal du boucher a déjà augmenté de 12 % par rapport à janvier. Le report des coûts sur la viande bovine et ovine devrait être encore supérieur (aux Etats-Unis, la plupart du bétail est nourri au grain en batteries jusqu'à atteindre le poids d'abattage souhaité).
Or depuis la mi-juin, avec la crainte de pénurie, les prix des matières premières agricoles n'ont cessé de grimper à la bourse de Chicago, où ils se négocient. Ceux conjugués du maïs, du blé et du soja ont augmenté en moyenne de 45 %. Or les analystes de Goldman Sachs misent sur une hausse supplémentaire des prix de 18 %.
Le débat sur la signification des sécheresses observées aux Etats-Unis ces dernières années est évidemment réactivé par la dimension exceptionnelle de celle qui sévit actuellement. Certains scientifiques américains jugent qu'elle s'inscrit dans un processus qui s'amplifie. A la question : "Assiste-t-on à un accroissement régulier et persistant de la sécheresse aux Etats-Unis ?", le professeur Richard Seager, de l'Observatoire de la Terre à l'Université Columbia (New York), qui a analysé plus spécifiquement l'historique de la région Sud-Ouest, répondait récemment : "Les modèles montrent une aridification progressive. Personne ne parle de "sécheresse" au Sahara. C'est un désert. Si les modèles sont exacts, alors le Sud-Ouest américain est confronté à une sécheresse qui devient permanente."