Green washing, social washing... Depuis quelques années, les entreprises sont accusées de nettoyer leur image. Mais quelle est la part de l'incantatoire et des effets d'annonce en matière de développement durable et de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) ? Même s'il convient de rester vigilant devant les sirènes de la communication, notre enquête montre que s'affranchir de ces nouvelles règles devient difficile et risqué, tant pour les entreprises que pour leurs managers.
"Pour tout un faisceau de raisons réglementaires, commerciales ou de réputation, les entreprises, de plus en plus, doivent prouver, chiffres à l'appui, que ce qu'elles annoncent est vrai", résume Xavier Houot, responsable des activités développement durable de BearingPoint. De leur côté, les cadres et les dirigeants commencent à être obligés d'intégrer la RSE dans leurs missions, leurs fonctions et leurs objectifs. Cela entraîne une redéfinition des métiers, et l'apparition de nouvelles règles managériales. Petite chronique des pionniers.
A PepsiCo, la présidente, Indra Nooyi, ne plaisante pas avec le sujet, elle qui prône le lien "inaliénable" entre performance économique et "investissement dans le capital humain". Aux managers d'appliquer la doctrine sur le terrain ! Concrètement, un responsable du marketing peut se voir poser comme objectif de dépasser les 30 % de plastique recyclés au moment de la conception des bouteilles Tropicana ou Lipton d'ici à la fin de l'année. Le patron de la logistique produits frais peut se voir fixer un taux d'émission du CO2 par palette.
"Nous complétons les fiches de postes des managers avec des objectifs de plus en plus précis et pointus", commente Jean-Raphaël Hétier, directeur commercial grandes et moyennes surfaces (GMS), et, depuis la fin de 2008, directeur du développement durable et membre du comité de direction de PepsiCo-France. Pour évangéliser les troupes, depuis deux ans, tous les collaborateurs sont progressivement formés au développement durable, l'objectif étant que tous se soient vu expliquer les grands principes et enjeux du "DD" d'ici à la fin de l'année.
Du côté de Danone, Franck Riboud a clairement montré à ses collaborateurs la voie du social business en se rapprochant en 2006 de Muhammad Yunus, le "banquier des pauvres", inventeur du microcrédit. Cela entraîne de profondes mutations dans certains métiers. Ainsi Philippe Bassin est-il à la fois directeur des achats pour le pôle produits laitiers frais et, depuis 2010, directeur général du Fonds Danone pour l'écosystème (1).
Contradictoire ? "Au contraire, j'innove dans mon métier ! assure-t-il. En quelques années, je suis passé d'une logique de négociation commerciale classique, parfois tendue avec certains fournisseurs, où seule la performance économique de court terme primait, à une logique de cocréation avec nos petits producteurs de lait." Angélique ? "Il ne s'agit pas de philanthropie, mais de business gagnant-gagnant, se défend-il. Dans une dizaine de pays, comme le Mexique et l'Ukraine, la production de lait est insuffisante pour les quantités requises par Danone. Le groupe cherche donc à renforcer la filière avec de petits producteurs, en partant de leurs besoins plutôt que des nôtres. Au Mexique, nous achetons déjà 2 % de notre sourcing à ces petits producteurs, et nous espérons parvenir à 8 % en 2015, en fédérant 400 éleveurs, contre nos 105 actuels."
L'implication sociale respectueuse s'accompagne parfois de pittoresque. Dans un faubourg de Mexico, le Fonds Danone pour l'écosystème a constitué une force de vente avec des femmes en difficulté d'insertion afin de commercialiser ses produits en porte-à-porte. Il a fallu tisser des liens avec un ex-membre de gang, caïd de l'entrepreneuriat local, pour déchiffrer l'organisation sociale et les particularités locales. "Nous avons stabilisé le modèle économique et social de cette initiative, et nos 280 vendeuses - 3 000 à terme - génèrent une rentabilité opérationnelle prometteuse. Un investisseur classique aurait jeté l'éponge au bout de quelques mois", constate Guillaume Desfourneaux, responsable des Amériques pour le fonds.
Au total, le géant de l'agroalimentaire pilote une cinquantaine de projets "hybrides" (à caractère économique et social) via les trois grands supports que sont Danone.communities, le Fonds Danone pour l'écosystème et Livelihoods.
"Environ 10 % de nos directeurs généraux de business et managers ont développé de nouvelles compétences avancées, que nous souhaitons transférer à la majorité de nos équipes de direction, pas spécialement versées dans la gestion de l'amont ou le social business", précise Muriel Pénicaud, directrice générale des ressources humaines de Danone et présidente du conseil d'administration du Fonds Danone pour l'écosystème.