L'auteur conservateur D. R. Tucker a fait son coming out sur son blog: après avoir défendu bec et ongle que le réchauffement climatique n'était qu'un complot socialiste, il a fini par rejoindre la cause des écologistes.
Voici encore quelques mois, vous auriez eu toutes les difficultés du monde à trouver un climatosceptique plus caractéristique que D.R. Tucker. Auteur conservateur et animateur de radio, il ne gobait pas l'idée faisant des émissions de gaz à effet de serre les responsables de la hausse des températures.
Il était pratiquement sûr que le réchauffement climatique était une imposture, montée de toutes pièces par Al Gore, aidé d'une poignée de scientifiques libéraux et assoiffés de subventions. Puis Tucker a fait ce que font rarement les partisans et les climatosceptiques: il a changé d'avis.
«J'ai été battu par les faits», a annoncé Tucker sur FrumForum.com, un blog très populaire qui se définit comme «dédié à la modernisation et à la rénovation du parti républicain et du mouvement conservateur».
Dans un article daté du 19 avril, intitulé «Confessions d'un converti climatique», Tucker explique à ses lecteurs comment il en est venu à remettre en question les idéologies du débat climatique, à étudier les données scientifiques, et à en conclure que le réchauffement climatique était, dans les faits, vraiment très réel. Son article a suscité de grisants remous dans les milieux écolos, et s'est attiré les foudres de ses collègues libertaires.
Ce genre de choses n'arrive pas souvent. Ou du moins semble-t-il. Seulement 48% des Américains pensent que le réchauffement climatique est, du moins en partie, «le résultat des activités humaines», selon un sondage Gallup de 2010, alors qu'ils étaient 60% en 2007 et 2008.
Anthony Leiserowitz, de l'université de Yale et directeur du Projet de communication sur le changement climatique, impute cette baisse à cinq facteurs: la crise économique, une diminution importante de la couverture médiatique du sujet, des événements météorologiques comme les «apocalypses neigeuses», les efforts du «secteur du déni» (un réseau de laboratoires d'idées financés par l'industrie, et de groupes de soutien politique mettant en avant les opinions sceptiques), et la débâcle du «ClimateGate».
Cette progression générale du climatosceptiscisme rend la «conversion» de Tucker encore plus exceptionnelle. Comment cela s'est-il donc passé?
Des «alarmés» aux «méprisants»
Anthony Leiserowitz s'est penché sur les tendances d'opinion américaines sur le climat, ces dix dernières années. Il classe les attitudes des Américains à l'égard du changement climatique en six catégories: «alarmé», «concerné», «prudent», «détaché», «dubitatif» et «méprisant».
Les «alarmés», à l'une des extrémités de l'échelle, se comptent parmi les militants écologistes et les conducteurs de Prius. De l'autre côté, celui des «dubitatifs» et des «méprisants», on retrouve les climatosceptiques.
Pour Leiserowitz, ces sceptiques sont des «nonistes», et ils ne formaient, voici peu de temps, qu'une toute petite minorité d'Américains. Au moment de ses premières analyses des positions sur le changement climatique, en 2002, les nonistes ne représentaient que 7 % des Américains. L'an dernier, ce chiffre a grimpé à 26%. (En comparaison, 23 % sont «prudents», 31% sont «concernés» et 14% sont «alarmés»)
Tucker était un noniste. «Je suivais le point de vue de Rush Limbaugh pour qui le mouvement écologiste était le 'nouveau refuge de la pensée socialiste'», m'a-t-il dit. Tucker voyait en Al Gore et Van Jones (l'ancien conseiller d'Obama sur les emplois verts) les principaux instigateurs libéraux d'un complot visant à s’accaparer plus de pouvoir en agitant le spectre du changement climatique. Leiserowitz appellerait cela une pensée «méprisante».
«Je suis passé de la politique à la science»
La conversion de Tucker a commencé à sa lecture du Disconnectde Morris Fiorina, qui souligne les divisions partisanes à l’œuvre entre Démocrates et Républicains, et montre que l'écologie était auparavant l'une des principales préoccupations des conservateurs. La curiosité de Tucker fut piquée au vif.
«Comment se faisait-il que l'écologie ne s'associait que maintenant au parti démocrate? Et c'est en partant de ces questions politiques que je me suis ouvert aux questions scientifiques», explique Tucker. «Je suis passé de la politique à la science».
Ensuite, un ami a convaincu Tucker de jeter un œil au Quatrième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat – la synthèse faisant autorité des données scientifiques évaluées par des pairs les plus récentes. «Au départ, j'étais un peu sceptique. Mais j'ai continué à lire, et il y avait tellement de preuves, tout était si détaillé, si corroboré, si documenté que j'ai eu une réaction du genre 'bordel de merde, c'est vraiment vrai!'»
Dans les mois qui ont suivi, Tucker est devenu un promoteur actif de la législation sur le climat: il travaille avec des groupes comme le Lobby des Citoyens du Climat, écrit à son représentant pour défendre l'agence américaine de protection de l'environnement, en appelle ouvertement à un système de tarification du carbone, et continue à interpeler ses amis libertaires sur la question.
Un converti «ostracisé»
Mais Tucker n'a pas rencontré beaucoup de solidarité depuis sa confession. «Je n'ai reçu aucun – aucun – email, ou contact d'aucune sorte en provenance de gens me faisant part d'un parcours similaire», déclare-t-il.
Avant d'écrire son article, Tucker avait tout de même rencontré deux convertis climatiques comme lui: les époux Susan et Roger Shamel, ex-Républicains de Bedford, dans le Massachusetts. Leur conversion datait de 2006, après avoir vu le film d'Al Gore, Une vérité qui dérange. Avant, les Shamel était «dubitatifs», selon la terminologie de Leiserowitz. Ils étaient tous les deux Républicains depuis toujours, même si l'engagement partisan de Susan avait commencé à s'émousser après l'attaque du parti Républicain contre les droits des femmes en matière de reproduction.
Poussés par leur fille à aller voir le film, ils se sont ensuite mis à étudier les questions climatiques, ont rendu leur carte du parti, et ont créé l'association du Réseau pour l’éducation au réchauffement climatique.
Mais depuis lors, ils ont été fondamentalement incapables de convaincre leurs amis et leur famille de la véracité de la science climatique, pour finir ostracisés. «Nous nous sommes faits de nouveaux amis», explique Susan, avec une moue désabusée.
Ce n'est pas surprenant – les idéologies enracinées sont souvent tout simplement imperméables aux faits. Les gens sont enclins à ce que les psychologues appellent des «raisonnements motivés»: nous orientons instinctivement les données disponibles pour qu'elles collent à nos croyances préexistantes. Ainsi, lorsqu'ils sont confrontés à des faits seuls, les sceptiques ne bougent en général pas d'un iota.
C'est pourquoi Tucker devait tout d'abord remettre en question la politique, pour ensuite passer à la science. Et le relâchement idéologique de Shamel a probablement ouvert la porte à une analyse plus rationnelle. Avoir des amis et de la famille prêts à vous soutenir est un plus, tout comme une ouverture d'esprit suffisante pour accepter de s’embourber dans des études scientifiques rébarbatives. (Il y a certainement plus d'Américains qui ont lu du début à la fin Guerre et paix, qu'une seule page du quatrième rapport du GIEC.)
Vous avez dit «négationnistes»?
La réticence des sceptiques à accepter de nouvelles informations est un trait que le physicien John Cook connaît bien. Il est responsable de Skeptical Science, un site extrêmement complet visant à réfuter les arguments des climatosceptiques. Mais après cinq ans d'existence, il ne peut confirmer qu'un seul cas d'abjuration sceptique.
J'ai demandé à Anthony Watts, le météorologiste tenant ce qui est peut-être le blog climatosceptique le plus populaire, Watts Up With That, ce qui pourrait lui faire accepter la science climatique. «Un point de départ de ce processus», a-t-il répondu, ne serait pas qu'on lui fournisse davantage de données, mais que les scientifiques renommés qui l'ont qualifié, avec d'autres de ses collègues, de «négationnistes», s’excusent publiquement.
Heureusement, la plupart des Américains peut encore changer d’avis. Les sondages montrent que leur opinion sur le climat est relativement fluide, et se fonde largement sur des événements actuels. «Une grande partie des flux et des reflux que manifeste l'attitude à l'égard du climat... ressemble aux clapotis de l'eau dans une toute petite poêle», explique Andrew Revkin, spécialiste depuis longtemps des questions climatiques au New York Times, «Beaucoup de vagues, très peu de signification.»
En d'autres termes, un hiver extrêmement neigeux peut pousser les Américains vers le «dubitatif», et des vagues de chaleur les mener sur les terres du «prudent», mais ces événements ont rarement des effets à long terme. Ainsi, la croyance générale dans le changement climatique pourrait rebondir avec des éclaircies économiques, ou des canicules estivales.
Évidemment, les choses peuvent très bien repartir dans l'autre sens – à moins que, comme Tucker et les Shamel, nous soyons suffisamment convaincus pour rejoindre les rangs des «concernés», ou des «alarmés». Qu'est-ce qui pourrait donc pousser les sceptiques et les indécis à des conversions aussi significatives?
Pour les sceptiques, il faudra probablement attendre le début du démantèlement du «secteur du déni» – les multinationales, laboratoires d'idées conservateurs, et autres médias partisans qui ont un intérêt à véhiculer des doutes sur la science du climat. Et ce n'est pas demain la veille.
Les indécis, par contre, ont avant tout besoin de se confronter davantage et mieux à la science du climat.
Les écoles devraient offrir de meilleurs enseignements sur le climat dans leurs programmes, et la couverture médiatique du sujet devrait s'améliorer. Tandis que les preuves scientifiques deviennent de plus en plus incontournables, et les impacts du réchauffement de plus en plus visibles, il est possible que de plus en plus d'Américains oscillent vers le «concerné» –pour le rester.