Gorbatchev plaide pour un tribunal écologique mondial

Publié le par Gerome

Mikhaïl Gorbatchev, 81 ans, a été président de l'URSS de 1985 à 1991. Il a obtenu le prix Nobel de la paix en 1990 pour sa contribution à la fin de la guerre froide. Il a fondé en 1993 Green Cross International, une association de défense de l'environnement.

Elle dispose d'un budget de 18 millions d'euros, financé par des donations privées et des subventions allouées par 34 Etats. M. Gorbatchev, qui la préside toujours, a pris la parole devant les délégations de 140 pays, lundi 12 mars, pour l'ouverture du sixième Forum mondial de l'eau, qui se tient à Marseille jusqu'au 17 mars. Il a répondu au Monde.


Pourquoi avoir réorienté votre vie vers la défense de l'environnement ?

Ce n'est pas du tout une nouvelle vie, c'est ma vie, voilà tout ! Je suis un paysan du nord du Caucase, fils de paysan, qui a longtemps vécu en lien étroit avec la nature, avant de connaître une vie d'intellectuel, d'homme politique, puis de chef d'Etat. Notre existence était misérable, nous avons connu la famine, les purges staliniennes et l'agression des nazis. Je n'ai pris conscience que très tardivement, quand je suis arrivé au comité central de l'ex-Union soviétique, du massacre écologique du pays : pollution de l'air, des rivières, déforestation, contamination des sols... Dire que nous étions si fiers de notre modèle... Tous ces massacres étaient répertoriés dans des documents tenus secrets ! Depuis, je ne veux plus de silence sur ces sujets, et je porte un message de défense de la planète.


Qu'est-ce qui vous différencie des autres ONG ?


 On ne cherche pas particulièrement à se distinguer, on travaille dur, ce n'est pas facile. Notre marque de fabrique, en quelque sorte, c'est notre volonté d'informer et d'éduquer. Le plus important, c'est l'éducation. Nous voulons que les gens soient au courant de ce qui se passe dans ce domaine. Quand je suis arrivé à la tête de l'Union soviétique, c'était le grand silence. Je me suis dit : "Plus jamais ça !"


Vous parlez beaucoup d'éducation, mais, depuis des années que vous tenez ce discours, l'état de la planète ne s'est pas amélioré. Faut-il en venir à une politique de coercition ?


 Oui. Je serais personnellement très favorable à la création d'un tribunal international chargé de juger ceux qui sont coupables de crimes écologiques, aussi bien des chefs d'entreprise que des chefs d'Etat ou de gouvernement. Ce tribunal, il faudrait évidemment en définir avec précision le statut, les règles, les compétences.


Soutenez-vous la création d'une organisation mondiale de l'environnement, comme le réclame la France ?


Je n'y suis pas opposé, mais sceptique. Il faut faire attention à ne pas mettre sur pied une nouvelle organisation bureaucratique, qui pourrait agir, dépenser de l'argent, sans tenir compte de l'avis des gens. Cela pourrait finalement freiner l'énergie de la société civile. Le moteur, c'est elle. Même si je ne suis pas convaincu par l'idée de cette nouvelle institution, je reconnais que vous, les Français, avez été en pointe dans bien des domaines. En particulier sur le droit à l'eau, que vous avez inscrit dans votre corpus juridique, et que les Nations unies ont reconnu en juillet 2010.


Trois pays d'Europe, l'Allemagne, l'Italie et la Suisse, ont décidé de sortir du nucléaire. Ont-ils raison ?


 Nous soutenons une sortie progressive du nucléaire militaire et civil. J'ai vécu l'expérience de Tchernobyl, qui tient une place énorme dans ma vie. Pour moi, il y a un avant et un après-Tchernobyl. Quatorze milliards de roubles déversés en très peu de temps pour contenir un seul réacteur dans un sarcophage ! Et pour quel résultat... On aurait pu penser que, trente-cinq ans après, le Japon, nation évoluée, confronté au désastre de Fukushima, s'en serait mieux sorti. Or, les Japonais se débattent toujours aujourd'hui dans les difficultés.


Nous soutenons les pays qui ont opté pour le désarmement et pour la fin du nucléaire civil, mais nous avons évolué dans nos prises de position. Désormais, nous pouvons comprendre que, pour certains pays comme la France, qui ont peu d'autres ressources, la transition énergétique prenne plus de temps.


Vous défendez le développement durable, ce qui implique de remettre en question un modèle basé sur la course à la croissance. Des pays émergents comme la Russie ou la Chine peuvent-ils entendre ce discours ?


Oui, bien sûr. Mais c'est aux pays développés de montrer l'exemple au reste du monde. Il leur faudra changer eux aussi et sortir de ce qu'on appelle communément "le consensus de Washington", c'est-à-dire l'orthodoxie économique libérale qui les rend incapables, dans le fond, de comprendre la nouvelle donne écologique et sociale.


L'écologie relève-t-elle des ONG ou des Etats ?


Des ONG, sans conteste, même si les gouvernements ne peuvent plus rester passifs. Quand ils ont agi, les Etats ont commis beaucoup d'erreurs.


On dit que vous pourriez laisser les rênes de votre association à Arnold Schwarzenegger ?


Non, je ne vais pas démissionner pour laisser la place à Terminator ! La rumeur vient du fait que M. Schwarzenegger a fondé lui aussi une association de défense de l'environnement, et qu'il veut travailler avec nous sur certains projets, ce que nous croyons souhaitable. Je suis un homme âgé maintenant, je n'ai plus le même dynamisme. Mais avec l'expérience, je constate que, si vous voulez résoudre un problème, vous devez avoir des femmes avec vous. Il y en a beaucoup à Green Cross, et je dis aux autres : "Bienvenue à bord."

 

 


Publié dans Nature

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