Le duo est originaire de Nantes (Loire-Atlantique), capitale des Ducs de Bretagne, « capitale verte de l’Europe » en 2013 aussi, désignée « ville la plus agréable » du Vieux Continent par le magazine Time en 2004 et dont la politique en termes de transports et de lutte contre le dérèglement climatique est régulièrement citée comme un modèle du genre. Particulièrement réceptive aux problématiques environnementales, la municipalité socialiste l’a déjà contacté. Tout comme la Mairie de Paris, des sociétés de collecte de déchets et de restauration collective, des industriels et des maraîchers.
Un aréopage hétéroclite séduit ou à tout le moins intéressé par les idées de Laurent Lebot et Victor Massip. Créateurs de l’entreprise Faltazi en 2001, ces deux designers industriels quadragénaires ont imaginé une « utopie urbaine » au sein de laquelle le recours aux hydrocarbures serait réduit au maximum et les consommateurs et producteurs de nourriture vivraient dans la plus parfaite harmonie. Avant de crier au fantasme et d’invoquer des investissements trop conséquents, surtout en cette période de vaches maigres, il faudrait déjà s’y pencher de plus près. Car instaurer des systèmes de compost collectifs n’a rien d’une incongruité, surtout si la population y met un peu plus du sien en amont, tout comme le fait de manger des légumes bio provenant de maraîchers installés dans la périphérie et venus à la rencontre des habitants avec des barges flottantes éco-conçues, c’est-à-dire capables de s’assembler pour constituer des marchés temporaires modulaires, ou avec des AMAP(Association pour le maintien d’une agriculture paysanne).
Alors que l’agriculture urbaine pourrait bien devenir une réalité dans les années à venir, d’où, entre autres avantages, des réductions notables d’émissions de gaz à effet de serre (GES) dues au transport, pourquoi ne pas créer, outre des serres maraîchères, une « serre-tunnel » fréquentée pèle-mêle par des cyclistes, des jardiniers et des piétons ? Pourquoi ne pas inventer les poulaillers collectifs urbains ? De même, sachant que les abeilles se plaisent en villes, où elles sont moins exposées aux pesticides et où l’effrayant frelon asiatique n’a pas sa place, pourquoi ne pas installer des ruches au-dessus des carrefours ?
Parce que MM. Lebot et Massip ont pensé à tout et qu’à leurs yeux rien n’est capillotracté pour protéger l’environnement, ils ont par ailleurs réfléchi à des jardins familiaux flottants, à un système de toilettes sèches collectives équipés de « chasses d’eau » à la sciure de bois et à des conserveries de quartier. Autant de structures motivées par la recherche d’une société autonome, participative et solidaire, dont l’économie serait régie par le développement durable et où la « déambulation maraîchère et bucolique » serait le lot quotidien des citadins.
En ces temps particulièrement difficiles, les emplois verts renferment un potentiel certes toujours difficile à évaluer mais que les pouvoirs publics ne peuvent plus se permettre d’éluder. D’autant que de nouveaux métiers pourraient prochainement voir le jour, des « urbapiculteurs » ou des marchands ambulants de soupes de légumes bio par exemples. Tenant actuellement une place de choix dans le débat public, la question énergétique doit aussi être appréhendée autrement. L’époque ne doit plus être aux ressources fossiles et au gaspillage, la priorité doit être donnée aux énergies renouvelables, c’est pourquoi les « Ekovores », qui disent tout sur leur site Internet homonyme www.lesekovores.com, plaident pour l’installation de modules éoliens dans l’espace public.
Preuve que leur projet est pris au sérieux, ils sont actuellement exposés à la galerie Le Sommer à Paris (IIIe arrondissement). Sous-titrée « Un système circulaire, local et résilient pour alimenter la ville », la manifestation propose aux visiteurs une promenade à travers une Nantes totalement verdie et devenue une vaste ferme urbaine et nourricière.
« C’est précisément de notre travail, en prenant conscience que, d’eux-mêmes, les industriels ne s’engageraient pas facilement dans un changement de fond sur les économies d’énergie ou la consommation durable que nous nous sommes dits qu’un tel changement pourrait aussi être impulsé aux collectivités », a confié M. Massip, pour qui « l’économie circulaire locale » pourrait résoudre bien des périls actuels, la « pétro-dépendance » en particulier, et serait même la pierre angulaire de l’auto-suffisance en ville. Et son acolyte de résumer : « Nous voulons offrir de nouvelles villes capables d’encaisser les déchets et de les valoriser ».
Côté pouvoirs publics, Frédéric Vasse, conseiller en communication et prospective auprès du maire de Nantes Jean-Marc Ayrault, n’a pas caché sa réceptivité : « ils ont une démarche un peu rentre-dedans mais ont le mérite de poser de vraies bonnes questions ». Une collaboration concrète entre la municipalité et les deux trublions, qui ont déjà rencontre l’édile, paraît aujourd’hui envisageable, parce qu’« il y a un vrai sujet autour de la ville-nourricière, c’est-à-dire comment un territoire urbain peut aussi être un territoire de relations à la production, à la terre et à la question agricole ».
« En tant que capitale verte, la question entre alimentation et hyper urbain est un sujet que nous voulons traiter car il répond à notre projet politique d’une société post-carbone et pose en même temps la question de la qualité de consommation […] Sur le projet Ekovores, il y a vraiment des innovations à la croisée entre l’emploi et l’alimentation », estime M. Vasse. Si aucun engagement ferme n’a jusqu’ici été contracté, les premières expérimentations auront bel et bien lieu à Nantes. Peut-être le début d’une longue et belle aventure.