Destruction environnementale du Tibet par la Chine : une député tibétaine raconte
Dolma Tsering, députée du Parlement du Tibet en exil, est née au Tibet en 1959, neuf ans après l’invasion du pays himalayen par l’armée de la Chine communiste. Quelques mois plus tard, ses parents, comme des dizaines de milliers d’habitants, ont fui la répression de l’insurrection tibétaine. Tenzin Gyatso, l’actuel dalaï-lama, a installé le gouvernement tibétain en Inde, dirigé depuis 2011 par le Premier ministre Lobsang Sangay. De son côté, la Chine considère qu’elle a des droits historiques sur le Tibet. Rencontre avec Dolma Tsering, qui s’est rendue en Europe avec une délégation de parlementaires tibétains.
Que pensez-vous du projet chinois de détourner l’eau du Brahmapoutre depuis le Tibet vers le désert du Xinjiang ?
Le Tibet est central dans la stratégie des nouvelles routes de la soie et se trouve au cœur des projets économiques chinois. L’Inde a raison de s’inquiéter de ce projet de tunnel qui détournerait l’eau du Yarlung Tsangpo, un affluent du Brahmapoutre, jusque dans la province du Xinjiang. Nos rivières fournissent de l’eau à 1,3 milliard de personnes en Asie. Le Mékong, la Rivière jaune, l’Indus y prennent leur source. Les Chinois développent des barrages hydroélectriques et exploitent le sous-sol, très riche en lithium et en uranium. Ils abîment la montagne, autrefois protégée par nos croyances religieuses, et touchent à la fois au sacré et à l’environnement. Le Tibet, avec ses 46 000 glaciers, traverse une crise environnementale qui dépasse de loin le sort des seuls 6 millions de Tibétains. Plus encore que les problèmes politiques, les atteintes à l’environnement au Tibet devraient être une inquiétude majeure pour les leaders mondiaux.
Quelle est la situation politique et sociale du Tibet aujourd’hui ?
La propagande chinoise donne l’image d’un Tibet baignant dans le bonheur, avec un avenir radieux. Le fait que 149 personnes se soient immolées par le feu depuis 2009 est pourtant le signe que quelque chose ne va pas. Les libertés d’expression, de déplacement et de religion se rétrécissent tant, que la police et les autorités locales s’immiscent dans la vie privée des citoyens. C’est devenu très difficile d’avoir des nouvelles de l’extérieur. Auparavant, on pouvait contourner la censure en utilisant des métaphores sur la météo ou des paroles de chansons, mais les réseaux sociaux sont désormais strictement surveillés.
Pour les Tibétains, avoir un passeport est un privilège, donné après des mois d’attente à ceux qui peuvent prouver qu’ils sont loyaux envers la Chine. Avant, on voyait beaucoup de groupes venir en Inde, mais c’est de plus en plus rare, et ce sont surtout des personnes âgées. Elles disent qu’elles vont au Népal et font un détour à Dharamsala pour voir le dalaï-lama et visiter le monastère. Mais elles ne s’attardent plus comme avant, elles ont peur.
Sous la pression de la Chine, le dalaï-lama est de plus en plus ostracisé par le monde occidental. Qu’en pensez-vous ?
C’est fou comme la Chine arrive à influencer la communauté internationale alors que son agenda est plein de son rêve de conquérir le monde. Pékin a encore assuré en octobre qu’il n’y a désormais plus «aucune excuse pour un dirigeant étranger qui rencontrerait le dalaï-lama». Nous avons de plus en plus de difficultés à obtenir des visas quand nous voyageons depuis l’Inde, et nous sommes reçus en catimini. Pourtant, le Tibet est l’exemple vivant de la stratégie chinoise : ils sont venus avec le sourire, des pièces d’argent et des chansons qui parlaient de liberté. Nous n’avons pas été assez prudents, et notre pays est devenu une prison pleine d’espions. Face à la Chine qui agit comme un enfant gâté, il faut être catégorique. L’issue de la crise du plateau du Doklam, cet été, a été positive. Pékin construisait une route sur un territoire revendiqué par l’Inde, et New Delhi l’en a empêchée.
Comment voyez-vous l’avenir alors que Xi Jinping vient d’être reconduit à la tête de la Chine ?
Les cinq prochaines années vont être particulièrement critiques. Il va falloir réfléchir à la succession du dalaï-lama, dans laquelle Pékin veut s’ingérer. Nous en avons assez des politiques d’assimilation et de destruction de notre culture, mais nous ne demandons pas l’indépendance. Le Parlement tibétain en exil est plein de jeunes très éduqués et énergiques. Nous sommes prêts à négocier et même à vivre avec la Chine, à condition qu’elle nous laisse notre langue, notre identité, notre culture, et pratiquer notre religion. Nous voulons une autonomie régionale, et être dirigés localement par des Tibétains, pas par des Chinois Hans [l’ethnie chinoise majoritaire, ndlr]. Le reste, les relations extérieures et la défense, nous pouvons leur laisser.
Ce n’est pas parce qu’on défend le Tibet qu’on est antichinois. Le Parti communiste chinois devrait admettre que, après soixante années de contrôle, le problème tibétain n’est toujours pas résolu. S’il acceptait notre proposition, Hongkong et le Xinjiang [qui sont aussi en conflit avec le pouvoir central] verraient qu’ils peuvent faire confiance à Pékin, et qu’il y existe une autre issue que militaire.
Source : libération.fr