Dans le Brésil de Bolsonaro, indigènes et écologistes payent le prix du sang
Au Brésil, les défenseurs de l’environnement comme les indigènes protégeant leurs terres payent souvent de leur vie le prix de leur engagement. Les effets de la prise de fonction du président Jair Bolsonaro en janvier, qui ne cache pas son soutien à l’agro-industrie, se font déjà sentir, comme l’accélération de la déforestation.
Rosane Santiago Silveira, 59 ans, a été torturée et assassinée chez elle dans la ville de Nova Viçosa (État de Bahia) le 29 janvier. Elle s’opposait à l’exploitation d’eucalyptus, prédatrice de terres dans la région. Militante écologiste et défenseur des droits humains pendant 18 ans, Rosane Silveira était membre de l’association de protection de l’île de Barra Velha et membre du conseil d’administration de la réserve de Cassurubá, une zone de 1.000 km2 située dans l’État de Bahia entre mangrove et forêt atlantique.
La réserve, appelée Resex Cassurubá, est utilisée par les populations traditionnelles, dont la subsistance repose sur l’agriculture et l’élevage de petits animaux. Sa création visait à protéger la culture de ces populations en assurant l’utilisation durable des ressources naturelles. Mille familles vivent dans la réserve de Cassurubá. Leur principale activité est la pêche (poissons, crabes et huîtres).
L’idée de la Resex est née de la demande de pêcheurs locaux, inquiets par l’arrivée des pêcheurs de crabes d’autres régions et par la spéculation immobilière. L’un des principaux défis de la communauté est de lutter contre l’installation du plus grand projet d’élevage de crevettes du pays, proposé par la Coopérative d’éleveurs de crevettes de l’extrême sud de Bahia (Coopex), projet considéré comme incompatible avec la préservation de l’environnement de la région. L’opposition de la communauté à certains projets a aussi généré de nombreux conflits avec les secteurs pétrolier, gazier et de la cellulose.
Rosane Silveira, membre engagée de la communauté de Cassurubá, a donc rejoint la longue liste des activistes écologistes assassinés au Brésil. Selon son fils, Tuian Santiago Cerqueira, Rosane Silveira avait auparavant reçu plusieurs menaces de mort. Toujours selon Tuian, la mort de Rosane a créé un climat de terreur dans la ville. « Tout le monde a peur, ma mère était une personne souriante et entretenait de bonnes relations avec les gens, malgré sa dureté dans ses combats. Elle était proche des gens », a-t-il déclaré.
Concernant les investigations sur la mort de l’activiste, les enquêteurs ont déclaré « qu’ils ne doutaient pas du lien entre le crime et les activités politiques de Rosane. Elle était membre suppléante du conseil de la réserve d’extraction (Resex) de Cassurubá et était propriétaire d’un terrain sur l’île de Barra Velha, qui fait partie de la même réserve. Plus récemment, elle s’était battue contre la production et le transport fluvial d’eucalyptus dans la zone de protection, ce qui entraînait la dégradation des mangroves ».
Défendre l’environnement au Brésil est une activité dangereuse pour les militants écologistes. Selon l’ONG britannique Global Witness, qui a enregistré 57 exécutions au Brésil en 2017, le pays a été l’un des leaders des assassinats d’activistes écologistes en 2016 et 2017. Les Philippines figurent en deuxième position dans le classement, avec 48 morts. La troisième place revient à la Colombie, avec 24 exécutions. En Afrique, 19 militants ont été assassinés, dont 12 en République démocratique du Congo. Selon le rapport de Global Witness, les activistes ont été exécutés car ils s’opposaient à des projets forestiers, agro-industriels ou à des sociétés minières.
Le rapport de l’ONG britannique démontre encore que l’agroalimentaire est le secteur le plus dangereux, dépassant pour la première fois le secteur minier, avec 46 défenseurs morts en protestant contre la façon dont les biens que nous consommons sont produits. L’opposition aux activités minières et pétrolières a fait 40 morts, la lutte contre le braconnage a tué 23 militants, comme celle contre l’exploitation forestière.
Rosane Silveira défendait sa terre et s’opposait à l’exploitation d’eucalyptus dans sa région. L’eucalyptus s’est répandu dans tout le pays depuis les années 1970, du Rio Grande do Sul à Bahia. Depuis son arrivée, l’eucalyptus a provoqué des modifications irréversibles dans la structure et la texture des sols. Avec lui et la déforestation sont entrées en scène la monoculture et les industries de cellulose.
Fernando Borges, directeur de l’ONG Groupe d’étude et conscientisation de l’environnement (Geca), regrette que l’eucalyptus ait remplacé les terres pouvant produire de la nourriture et affirme : « Pourquoi les pouvoirs publics ne supervisent-ils pas le dossier de l’eucalyptus ? Parce que les entreprises financent la campagne des politiciens ! À l’avenir, quand ces terres n’intéresseront plus les entreprises, que va-t-il leur arriver ? »
Ivonete Gonçalves, coordinatrice du Centre d’études et de recherche pour le développement de l’extrême sud de Bahia (Cepedes), a déclaré : « L’eucalyptus assèche les sources d’eau et détruit les sols. 70 % des zones agricoles de la région sont occupées par des eucalyptus. Un crime contre l’environnement ! »
Défendre l’environnement au Brésil est une activité dangereuse pour les indigènes. Les terres sur lesquelles ils vivent sont de plus en plus convoitées en raison de leurs richesses naturelles. Le nombre d’invasions des terres a ainsi considérablement augmenté, passant de 59 cas en 2016 à 96 l’année dernière. Selon le Cimi (Conseil missionnaire indigène), « tout ceci est la conséquence de l’absence de démarcation des terres et du manque de protection des communautés ». D’après le Cimi, 110 Indiens ont été assassinés dans le pays en 2015, dont 17 au Mato Grosso do Sul, et 118 en 2016. La plupart des meurtres sont causés par des conflits liés à la déforestation et à l’invasion des terres.
L’invasion des terres protégées et la croissance de la déforestation sont en progression depuis deux ans au Brésil. Pendant la campagne électorale, Jair Bolsonaro avait clairement dit qu’il n’était pas favorable au programme socio-environnemental mis en place par ses prédécesseurs. Aussitôt dit, aussitôt fait. Depuis la prise de fonction du président Bolsonaro, le 1er janvier 2019, le gouvernement a transféré la responsabilité de l’identification, de la délimitation, de la reconnaissance et de la démarcation des terres indigènes au ministère de l’Agriculture (Mapa), actuellement dirigé par la ministre Tereza Cristina Dias, chef du Front parlementaire agroalimentaire (FPA) et fervente défenseur de l’agrobusiness. La Fondation nationale de l’Indien (Funai), l’organisme défenseur des indigènes, a perdu le peu de pouvoir qu’elle possédait et est désormais subordonnée au nouveau ministère de la Femme, de la Famille et des Droits de l’homme.
Les conséquences négatives de cette nouvelle politique environnementale sont flagrantes. L’Institut de l’homme et de l’environnement de l’Amazonie (Imazon) vient de publier les premières données de 2019 relevées par le Système d’alerte de déforestation (SAD). Son rapport démontre que la déforestation en Amazonie a augmenté de 54 % en janvier par rapport à la même période de l’année précédente.
Au total, 108 km² ont été déboisés. L’État du Pará est celui qui a le plus été déboisé (37 % du total), suivi par le Mato Grosso (32 %), le Roraima (16 %), le Rondônia (8 %), l’Amazonas (6 %) et l’Acre (1 %). La majeure partie de la déforestation (67 %) s’est produite dans des zones privées, préservées et occupées par les indigènes, ce qui signifie un relâchement du contrôle gouvernemental ainsi qu’un arrêt des démarcations et une course au déboisement.
Plus de 900.000 indigènes vivent au Brésil. Leurs droits sont menacés et ignorés. En janvier 2019, au moins six invasions ont été confirmées dans plusieurs régions du pays. Face à cette offensive, l’ONG Campement Terre libre (ATL) organise une manifestation du 24 au 26 avril 2019 à Brasília contre les nouvelles directives gouvernementales.
L’objectif d’ATL est de réunir à Brasília tous les leaders des peuples indigènes et de lancer une grande offensive contre les organismes politiques responsables de la déforestation et de l’invasion de leurs terres. Cette année, le slogan du ATL est « Sang indigène. Dans les veines, la lutte pour la terre et le territoire ».
Source : reporterre.net